Le Meilleur, Bernard Malamud
Le Meilleur (The Natural), traduit de l’américain par Josée Kamoun, février 2015, 300 p. 21,50 €
Ecrivain(s): Bernard Malamud Edition: Rivages
Retrouver Malamud sur un versant ensoleillé est à la fois surprenant et formidable. Loin du « Shtetl » et de Kiev*, il nous place cette fois au cœur de l’Amérique. Et même mieux encore, au cœur du cœur des mythologies américaines modernes : le baseball ! C’est tellement le cœur du mythe yankee que l’éditeur nous propose un lexique du baseball en fin d’ouvrage. Louable initiative, mais on peut craindre que ce soit peine perdue tant ce jeu, le plus populaire aux USA, est illisible pour un esprit européen normalement constitué. Le chroniqueur peut témoigner que malgré sa bonne volonté depuis des décennies, il n’a jamais réussi à y comprendre quoi que ce soit.
Qu’importe, il n’est nul besoin de comprendre le baseball pour adorer ce livre !
Et loin de la terreur et de la souffrance, nous voici dans un roman de la jeunesse, de l’amour, de la lumière. Bien sûr – les lecteurs de Malamud s’en doutent déjà – cela ne va pas sans ombres, sans peine, sans misères. Mais elles sont ordinaires, relèvent de ce qu’il en est d’une vie humaine.
Roy Hobbes est taillé pour la gloire. Son talent, de lanceur et de batteur, est hors du commun. Il est jeune, athlétique, ambitieux. Rien ne peut l’arrêter dans son essor sportif. Rien. Ou presque. Et le destin de Roy se jouera – en grande partie – dans le « presque ». Il est arrêté dans son élan. Arrêté net, dans des conditions pour le moins inattendues. Mais il rebondira pour aller vers son destin. Ou presque. Vous l’avez compris, l’art narratif de Malamud dans ce superbe roman est tout entier dans le « presque ». Ou le pas tout à fait. On est dans un univers à la Jankélévitch, celui de l’inachevé, de bout en bout de l’histoire. Cette frontière étroite entre le soleil et l’ombre, le bonheur et le malheur, la gloire et l’oubli, l’amour et le rejet, la jeunesse et l’âge qui vient. La trajectoire de notre héros sera comme certaines de ses balles de lanceur : erratiques, hésitantes, difficilement rattrapables. Son arrivée à New York semble une métaphore de ce qui l’y attend :
« Ils roulèrent des kilomètres dans cette jungle urbaine infestée d’ombres entre les réverbères. »
Le ton du récit, dans les deux premiers tiers du livre, est à l’épopée joyeuse. Le monde du Baseball n’est pas triste, avec ses personnages improbables, aux histoires personnelles incroyables. Et le baseball lui-même n’est pas triste. Malamud en fait un terrain d’aventures humaines, picaresques et délirantes. Des pages entières évoquent de façon flagrante les épopées rabelaisiennes, avec leur accumulation de faits, de dits, et de folies. Il est difficile d’en donner un exemple ici, qui impliquerait une (trop) longue citation, mais on peut s’en rendre compte avec ce petit extrait qui jouxte la Guerre Picrocholine :
« … mais là, il découvrait avec horreur qu’il avait effectivement cédé, si bien qu‘il pédalait dans les airs et finissait par s’abattre avec un plouf énorme dans les eaux bouillonnantes en pleurant à gros sanglots (bou-ouh). »
On n’est pas loin du « Ce disant pleurait comme une vache » du sieur François, dont Malamud (et la traductrice de talent qu’est Josée Kamoun !) reprend l’usage de l’imparfait de narration. Les scènes hilarantes se succèdent, à nous faire rire aux larmes par moments. Et puis le « presque » reprend ses droits.
Un peu après la moitié du roman, le ton – le temps – change et la trajectoire devient difficultueuse. Les nuages recommencent à s’amonceler sur le chemin triomphal de Roy. Traversant un pont avec la belle de ses rêves, un panneau sonne comme un avis de tempête dans la vie du lanceur. On est à la page 147 :
« Mais en traversant le pont qui menait sur la berge herbue, ils se heurtèrent à un panneau qui disait : Danger, Eau polluée, Baignade interdite. »
Entre ombre et lumière, Bernard Malamud mène alors Roy à son destin. Pas question ici de vous en dire plus, tant l’aventure de Roy (et des Knights, son équipe) est passionnante jusqu’au dernier mot.
Un grand livre – est-il besoin de le dire encore ? Oui !
Léon-Marc Levy
*L’homme de Kiev, Rivages janvier 2015. Lire l’article sur le livre
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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