Le lys de Brooklyn, Betty Smith
Le Lys de Brooklyn (A tree grows in Brooklyn) Traduction (USA) Maurice Beerbrock 1946. mars 2014. 709 p. 19 €
Ecrivain(s): Betty Smith Edition: BelfondLes éditions Belfond continuent avec leur collection Vintage à nous dénicher des bijoux qui ont eu leur heure de gloire et – on ne sait pour quelle étrange raison – ont un peu disparu des mémoires de lecteurs. Ce fut il y a peu le superbe « Edisto » de Padgett Powell (lien). Voici « le lys de Brooklyn » de Betty Smith, non moins superbe !
Ce livre a vraiment connu son heure de gloire. Jugez-en. Publié en 1943, il connut un succès immédiat et phénoménal, plus d’un million d’exemplaires vendus la première année. Mieux encore, Elia Kazan s’en saisit aussitôt pour réaliser le film éponyme de 1945 qui fut également un grand succès populaire. Traduit en français en 1946 par Maurice Beerblock et depuis, plus d’édition ! Voici donc un beau présent dans nos mains !
Elle s’appelle Francie. C’est la petite héroïne du roman. Francie, presque Frankie ; Il est impossible de ne pas penser à la « Frankie Addams » de la grande Carson McCullers tant ces deux très jeunes filles ont de traits communs : La vivacité, l’intelligence immédiate des situations et des personnes, la drôlerie, la droiture morale, la bonté. Les deux livres sont parfaitement contemporains, ce qui ajoute à la nécessité du rapprochement. Mais avec Betty Smith, la période de la narration est plus étendue, quelques années et la démarche initiatique plus évidente.
Francie vit avec ses parents et son petit frère Neeley. Ils sont très pauvres, comme la plupart des pauvres blancs de Brooklyn. On est en 1912. Le grondement de la déflagration mondiale commence à se faire entendre, mais encore lointain. C’est là que Francie – la part autobiographique de Betty Smith est évidente – va « fleurir », entre les pierres, la poussière, les palissades. Comme cet arbre qu’on appelle « le monte-au-ciel » et qui, sans eau, sans soleil, sans terre, parvient néanmoins à pousser, s’élever, mieux encore, être beau !
Brooklyn n’est pas encore tout à fait un quartier de New York, c’est une bourgade à part entière. Et les pauvres, cahin-caha, y trouvent les petits et grands bonheurs des pauvres : les jeux d’enfants, les amitiés, les week-ends :
« Oh ! Le beau jour que le samedi, à Brooklyn ! Le beau jour que c’était, là et, d’ailleurs, partout ! Le samedi, les gens touchent leur paie. Un jour déjà de congé, et qui n’a pas la raideur du dimanche . On a un peu d’argent, on peut sortir acheter des choses. Pour une fois, on mange bien ; on peut se soûler, se donner rendez-vous, se conter fleurette, rester levé jusqu’à Dieu sait quelle heure, chanter, faire de la musique ; »
Et Francie a deux grandes amours : son père et les livres. On devine chez Betty Smith la volonté de faire entendre son propre projet d’enfance : la littérature.
« La bibliothèque se trouvait dans un petit bâtiment ancien et sordide ; mais Francie le trouvait magnifique. Ce qu’elle éprouvait pour la bibliothèque ressemblait un peu à ce qu’elle éprouvait à l’église. Elle poussa la porte et entra. Oh ! qu’elle aimait l’odeur du lieu, mélange de vieilles reliures, de cuir, de colle et de tampons encreurs ! Elle la préférait peut-être à celle de l’encens que l’on brûlait à la grand-messe. »
Grands et petits malheurs vont scander ces quelques années de la famille Nolan. Francie comme mûrit, apprend la vie. Betty Smith est une formidable raconteuse de vies. Elle aime ses personnages et nous les fait aimer. Son écriture, ses champs lexicaux, épousent parfaitement le ton, le cœur, l’esprit de Francie : tendresse, pétillement, humour. La séduction est le maître mot du plaisir du lecteur : on est séduit de la première à le dernière page, sans temps faibles, dans une dynamique d’écriture exceptionnelle. La formidable traduction de Beerblock y est pour beaucoup !
Et pour finir, sans cesse présente, peut-être le personnage central du roman : Brooklyn ! :
« … Tout au bout de la rue, le grand pont s’élançait, pareil à un soupir, par-dessus l’East River, et se perdait, se fondait là-bas, sur l’autre rive. Sous le pont, la rivière noire, et, très loin, très loin, le profil brumeux de New York, comme une ville de théâtre découpée dans du carton. »
Leon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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