Le long du sud : In Salah, la ville la plus horrible
Il y a en Algérie trois choses très tristes, sales, ennuyeuses et très polluantes pour l’âme : les sachets bleus, les fêtes officielles et In Salah. De sa vie, le chroniqueur n’a jamais vu une ville aussi sale, laide, abandonnée entre le vide et le coup de pied, morte depuis si longtemps qu’elle n’a plus que sa pierre tombale et tellement loin de tout que la pièce de monnaie y a l’air d’un caillou inconnu. Le long du sud, on peut voir le vide, le désert, le Sahara, le néant et In Salah. Ruelles dévastées, poteaux aux dos courbés, maisons inachevées, gens tristes et presque en colère contre l’inconnu, des mouches sur la nourriture, du sable et le cratère d’un centre-ville qui n’existe pas que par son empreinte de pas de fuyard. Pourquoi en parler ? Parce qu’il faut dénoncer, dire, rapporter : on ne peut pas avec autant d’argent construire un abcès pareil.
L’endroit est même considéré comme un centre que l’on cite dans le bulletin météo. Alors que sur place, on a de la peine à imaginer la possibilité d’une vie dans cet endroit. Le parfait exemple de ce que peut faire le pétrole quand il rencontre le manque d’idées, la gabegie, la corruption et l’horreur. Car l’endroit est horrible, tout simplement, cru. On imagine à peine la vie dedans, la possibilité du poumon contre le néant. Comment a-t-on pu faire cette ville ? La réduire à une telle saleté ? L’enjamber ? Avec quoi est-elle reliée à l’Algérie ? Qui y est wali ou comptable ?
Il y a dans le sud, dans les grandes villes du désert, une maladie que le chroniqueur désigne comme « la maladie du poteau ». Partout, dans l’excès et une profusion douteuse, des poteaux d’éclairage partout. Parfois même là où il n’y a pas de rue, de ruelles, de routes, de villages ou de maisons. Dans une sorte d’élan de la dépense qui ne se soucie plus de la raison. Des poteaux d’éclairage tous les cinq mètres presque. Pourquoi ? Parce que le Nord pense que le développement dans le Sud se fait par la dépense en poteaux. Le budget « éclairage » est consommé jusqu’à l’absurde. Il en va des centrales électriques à Tamanrasset par exemple, qui sont inaugurées et re-inaugurées en cycle depuis l’époque Khellil, les trottoirs défoncés, les rues mortes et tueuses, les poteaux rouillés, peuples métalliques, tristes de notre indépendance, vestiges de la conquête de l’électricité contre la Jahilya coloniale. Et c’est affreux ce désert au cœur du Sahara. On s’imagine mal la catastrophe de certaines villes du sud où le régime du nord croit y acheter la vassalité par les poteaux et le consensus par le budget spécial. S’y sont développés alors ces tristes cratères où l’autochtone opte pour la ruse face à un régime nordiste riche et qui a peur et qui pense mal, n’a pas d’idées et trop d’argent. In Salah en est l’exemple qui frappe par tant d’horreur. Ville fantôme coincée entre la saleté, le sachet bleu, le goudron raté et la laideur sur les visages et au bas des murs. Dieu que le Sahara algérien souffre du nord et des siens !
Kamel Daoud
Journaliste au Quotidien d'Oran
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