Le livre pluriel - à propos de Une petite fenêtre d’or de Mireille Gansel
Une petite fenêtre d’or, Mireille Gansel, éd. La Coopérative, septembre 2016, 160 pages, 19 €
Pour résumer mon impression, diverse et variée, au sujet de la Petite fenêtre d’or que Mireille Gansel publie aux éditions La Coopérative, je rassemblerais ces divers faisceaux de lecture par une formule : l’art du fragment, le fragment des arts. En effet, nous sommes en présence d’un livre, d’un feuilletage, d’un étagement, un patchwork où s’arc-boutent les villes traversées, les langues parlées ou traduites, les livres et les personnes vivantes ou disparues mais souvent aimées. On peut ouvrir cette petite fenêtre qui donne sur l’univers de Mireille Gansel, pour y découvrir une femme de lettres qui fréquente les poètes et sait en tirer une expérience. Ainsi, sur le fond d’une quête d’identité et sous le rapport de la relation au prochain, on vit, à l’aune de l’écrivaine, un véritable compagnonnage avec autrui – l’accueil fait à l’Autre –, en compagnie d’une langue classique tirant parfois vers l’expérimental – grâce aux contacts avec les poètes peut-être ?
Nous sommes en présence d’une certaine vision du monde en fractions, où courent de grands thèmes : l’enfance bien sûr, mais aussi la langue, le problème de la traduction, l’identité juive et encore la mort, tout cela grâce à un style composite, en regardant le monde comme une chose plurielle où il est possible d’agir et de produire une concaténation de personnes, de livres, de temps historiques, de langues, d’espaces géographiques. Et cela parfois avec des paragraphes entiers sans ponctuation, juste animés de ce Et si cher à Gilles Deleuze.
en remontant le cours du Danube
Budapest –
tu y es petite fille. Dans ces mêmes années de l’enfance de Canetti à Rustschuk. C’était avant la première guerre –
l’allemand de l’école est aux normes de l’administration austro-hongroise. L’allemand de la maison est habité de yiddish, de slovaque, et des traces des pays traversés depuis la Galicie. Le hongrois est la langue du pays où tu es née. Où tu as grandi. En marge. Comme enfant juive. Et pauvre.
J’ai parlé plus haut de la figure de l’Autre, et notamment ici du tzigane, lui aussi confronté à l’extermination nazie. Et cela pour souligner pour l’écrivaine l’importance de recevoir, d’adopter, de créer un espace mental pour cet autrui, ce prochain de l’Evangile, et d’occuper un champ éthique de toute première importance en nos jours sombres où périssent de pauvres êtres en Méditerranée faute de pouvoir être reçus avec bienveillance dans notre Europe citadelle. Car recevoir est difficile et requiert de l’attention, et même un peu au-delà.
H
comme hôte
toi l’étranger qui sans façon
m’as souri
quand les gendarmes m’ont pris
j’aime dans la langue française si claire la complétude de ce mot à double entrée dans la maison de l’hospitalité un mot à deux mains ouvertes
Hôte, au reste, comme infortuné, abandonné, laissé pour compte car notre monde est injuste, et semble rester inerte quand la littérature, avec son pouvoir performatif, agit contre cette léthargie, contre le sommeil de notre époque en nos contrées. Et surtout avec la force de l’invention, la « percussion » du style, une relation stromboscopique, éclatée, différée puis actuelle dans le bref instant d’écrire, de l’image du monde et ses brûlures. Peut-être correspond-il au concept dutremblement du monde d’Edouard Glissant ? Il reste que ces thèmes (enfance, autrui, monde hébraïque) se conjuguent dans une langue qui se cherche, et qui n’oublie pas la leçon de l’aventure morale et stylistique des poètes.
« Cette hospitalité », « ombres et clartés », « à la frontière », « les compagnons de la nuit », « l’âme de l’étranger », « cette hospitalité », « le métier de poète », « une ville merveilleuse pour un enfant », tels sont certains titres du sommaire que je livre en vrac et dans le désordre, sans exhaustivité mais pour mettre en valeur les questions que pose ce livre.
Pour conclure ce que fut ma lecture, je propose de finir avec les mots de Monique Gansel :
O
comme oiseau
millet jaune blé tournesol gruau d’avoine colza et brisure de riz amoureusement déposés sur le rebord de la fenêtre la petite fille épie attend s’éloigne revient s’approche le plus doucement du monde mais à peine son reflet et déjà l’oiseau s’envole et ce soir quand la petite fille est partie il y avait à contre-nuit sur la vitre deux petits morceaux de papier soigneusement découpés bien fixés avec des bouts de scotch, sur l’un un petit oiseau dessiné le bec penché vers le rebord et sur l’autre juste un peu au-dessus en écriture bien appliquée « vin peti oiseau » car les oiseaux savent lire la lettre d’un enfant –
Didier Ayres
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