Identification

Le Livre, Gérard Pfister (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 31.05.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Le Livre, Gérard Pfister, éd. Arfuyen, mars 2023, 228 pages, 17 €

Le Livre, Gérard Pfister (par Didier Ayres)

 

Nous croyons décrire une réalité, nous en créons une autre. Nous croyons parler des choses, les mots parlent d’eux-mêmes.

Gérard Pfister

Expérience

Expérience, tel est le livre, Le Livre. Un approfondissement, un creusement que le poète opère dans son langage poétique, offrant une vision des gouffres, mots incandescents devant la pensée, ou pensée incandescente qui trouve issue dans la langue du poète ; voilà le destin du poète. Le lecteur ainsi est confronté à une vérité de la forme. Cette poésie est adressée aux idées telles que les présente Platon dans sa fameuse caverne. Donc images, ou plutôt fondements de l’image, quintessence de l’image, signe absolu. Difficile sujet. Les mots du Livre sont maux humains. Sont mots humains.

Il faut aussi dire que ce recueil est un texte à programme, comme on le dirait d’une musique : décrire le son, le sens et le soi, musicalement chaloupés par l’intellection. Son, sens et soi comme trois piliers naturels à cette expression de Gérard Pfister ici. Ou plutôt, viser l’épuisement de l’idée, des mots, de ce mot livre, qui semble inépuisable tant les angles de vision sont divers et incessants.

Peut-on rapprocher cette expérience littéraire des 555 sonates de Scarlatti ? En un sens, oui. Car il faut compter les 500 tercets de G. Pfister qui vont déboucher sur 26 pages de prose, comme autant de tentatives pour répéter l’étonnement dans lequel nous confine l’auteur. Et musicalement on se trouve proche de cette expérience du musicien italien de la lisière du XVIIIème siècle. Et derrière cette intention d’écrire 5 sections de 100 poèmes, se trouve le désir de saisir tout dans le mystère de la vie, étonnement devant la page du livre, devant la parole poétique. De là le goût des traits hachurés de ces poèmes-dessins. Combinatoire, répétitions, schémas des tercets qui se composent de trois vers, et d’une ligne vide qui revient soit en deuxième ou en troisième position. C’est une phrase découpée en trois et hantée par le vide : tels ces tercets.

 

356

Nous relisons les pages

nous retrouvons la phrase

quand vint l’éclair

 

Cette quête va jusqu’au tarissement, à une sorte de suffocation intérieure, non pas par manque mais par surcroît, par souffle comprimé dans chaque vers, chaque mot. Aller vers l’abysse du langage est une des pratiques poétiques les plus riches, tout en évitant, au sujet de Livre, l’effet haïku ou tenka, poèmes courts de nature orientale, mais contenus dans une phrase dont le tercet découpe en vers courts ces espèces de lexies.

 

42

C’est un maître envieux

qui nomme

et qui détruit

43

Les choses

sont poussière

ne restent que les noms

 

Livre de poésie, livre d’heures, livre de la vie. C’est ainsi que ce livre (Le Livre) est capable d’un chant monodique, voix chantant a cappella, où l’écriture se fait témoin d’elle-même, saisit, rassemble sa propre beauté, son harmonie singulière. Il s’agit d’un exercice de simplicité, de clarté, de reconnaissance (de re-connaissance). Cela est rendu possible grâce à la régularité, métronomique, contrapunctique, proche en un sens du Zen et des jardins où le gravier est strié par un outil régulier, où la trace de l’homme de chair disparaît au profit d’un homme se tenant devant dieu. Écrire comme en ascèse devant la page, exercice spirituel où persiste une sorte d’ostinato, désignant et préférant la sobriété, la méditation plutôt que la matière. Et cependant, la lecture est fluide, ne s’égare pas, reste droite devant le franchissement de ce qui aurait pu peut-être devenir long ; au contraire, on franchit les 500 poèmes avec légèreté.

 

Didier Ayres


  • Vu: 950

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.