Le Livre, Gérard Pfister (par Didier Ayres)
Le Livre, Gérard Pfister, éd. Arfuyen, mars 2023, 228 pages, 17 €
Nous croyons décrire une réalité, nous en créons une autre. Nous croyons parler des choses, les mots parlent d’eux-mêmes.
Gérard Pfister
Expérience
Expérience, tel est le livre, Le Livre. Un approfondissement, un creusement que le poète opère dans son langage poétique, offrant une vision des gouffres, mots incandescents devant la pensée, ou pensée incandescente qui trouve issue dans la langue du poète ; voilà le destin du poète. Le lecteur ainsi est confronté à une vérité de la forme. Cette poésie est adressée aux idées telles que les présente Platon dans sa fameuse caverne. Donc images, ou plutôt fondements de l’image, quintessence de l’image, signe absolu. Difficile sujet. Les mots du Livre sont maux humains. Sont mots humains.
Il faut aussi dire que ce recueil est un texte à programme, comme on le dirait d’une musique : décrire le son, le sens et le soi, musicalement chaloupés par l’intellection. Son, sens et soi comme trois piliers naturels à cette expression de Gérard Pfister ici. Ou plutôt, viser l’épuisement de l’idée, des mots, de ce mot livre, qui semble inépuisable tant les angles de vision sont divers et incessants.
Peut-on rapprocher cette expérience littéraire des 555 sonates de Scarlatti ? En un sens, oui. Car il faut compter les 500 tercets de G. Pfister qui vont déboucher sur 26 pages de prose, comme autant de tentatives pour répéter l’étonnement dans lequel nous confine l’auteur. Et musicalement on se trouve proche de cette expérience du musicien italien de la lisière du XVIIIème siècle. Et derrière cette intention d’écrire 5 sections de 100 poèmes, se trouve le désir de saisir tout dans le mystère de la vie, étonnement devant la page du livre, devant la parole poétique. De là le goût des traits hachurés de ces poèmes-dessins. Combinatoire, répétitions, schémas des tercets qui se composent de trois vers, et d’une ligne vide qui revient soit en deuxième ou en troisième position. C’est une phrase découpée en trois et hantée par le vide : tels ces tercets.
356
Nous relisons les pages
nous retrouvons la phrase
quand vint l’éclair
Cette quête va jusqu’au tarissement, à une sorte de suffocation intérieure, non pas par manque mais par surcroît, par souffle comprimé dans chaque vers, chaque mot. Aller vers l’abysse du langage est une des pratiques poétiques les plus riches, tout en évitant, au sujet de Livre, l’effet haïku ou tenka, poèmes courts de nature orientale, mais contenus dans une phrase dont le tercet découpe en vers courts ces espèces de lexies.
42
C’est un maître envieux
qui nomme
et qui détruit
43
Les choses
sont poussière
ne restent que les noms
Livre de poésie, livre d’heures, livre de la vie. C’est ainsi que ce livre (Le Livre) est capable d’un chant monodique, voix chantant a cappella, où l’écriture se fait témoin d’elle-même, saisit, rassemble sa propre beauté, son harmonie singulière. Il s’agit d’un exercice de simplicité, de clarté, de reconnaissance (de re-connaissance). Cela est rendu possible grâce à la régularité, métronomique, contrapunctique, proche en un sens du Zen et des jardins où le gravier est strié par un outil régulier, où la trace de l’homme de chair disparaît au profit d’un homme se tenant devant dieu. Écrire comme en ascèse devant la page, exercice spirituel où persiste une sorte d’ostinato, désignant et préférant la sobriété, la méditation plutôt que la matière. Et cependant, la lecture est fluide, ne s’égare pas, reste droite devant le franchissement de ce qui aurait pu peut-être devenir long ; au contraire, on franchit les 500 poèmes avec légèreté.
Didier Ayres
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