Le Livre des livres perdus, Giorgio Van Straten
Le Livre des livres perdus, avril 2017, trad. italien Marguerite Pozzoli, 176 pages, 18 €
Ecrivain(s): Giorgio Van Straten Edition: Actes Sud
Cette enquête passionnante autour de huit livres perdus, égarés ou disparus ou détruits pour diverses raisons, tient de la chasse aux trésors, entreprise par des adultes qui ont gardé l’âme des enfants chasseurs. Pourquoi ne peut-on lire ces œuvres d’auteurs célèbres ou reconnus ? C’est l’objet de cette recherche qui touche des récits, romans ou mémoires des XIXe et XXe siècles.
Ce livre comporte un avant-propos qui situe les enjeux de la quête fabuleuse, huit récits, une annexe (liste raisonnée des livres cités), un index des références. L’essai s’incruste au scalpel dans l’itinéraire créateur de huit écrivains qui ont, pour des motifs que ce livre argumente, abandonné, censuré, brûlé ou perdu une œuvre d’importance. L’essayiste s’est rendu sur les lieux de la disparition pour mener son enquête : Londres, Florence, Catalogne, Paris, Pologne, Canada, Moscou.
Les écrivains se nomment Romano Bilenchi, George Byron, Ernest Hemingway, Bruno Schulz, Nicolas Gogol, Malcom Lowry, Walter Benjamin et Sylvia Plath. Des itinéraires sombres pour plus d’un, marqués au sceau du suicide, de la boisson et de la névrose. L’intérêt marquant du livre est de nous faire vivre de l’intérieur ces pages qu’il nous sera impossible de lire mais bien d’imaginer, de rêver, parfois grâce à des découvertes qui tiennent du miracle.
La veuve de Romano Bilenchi a décidé de détruire les pages d’un roman Il Viale que Van Straten avait eu l’occasion de lire sous forme de tapuscrit.
Les mémoires de Byron eussent été trop sulfureux, son éditeur décida donc de le détruire par le feu. L’aveu d’homosexualité du poète, les risques de scandale ont sans doute nourri cet acte insensé.
Une valise perdue dans un train, en 1922, par la première femme d’Hemingway, contenait une série de manuscrits. Doubles au carbone également. Seules deux nouvelles envoyées à des revues échappèrent au triste sort.
Le Messie de Bruno Schulz disparut dans la Pologne de 1942.
La valise noire dont ne voulait pas se séparer Walter Benjamin, sur la route de l’exil en Espagne en 1940, devait contenir un manuscrit qu’il souhaitait sauver en Amérique. On ne sait rien du destin de ces feuilles. La valise fut retrouvée.
Nicolas Gogol, perfectionniste, avait imaginé une suite à ses Ames mortes. En 1852, ces pages terminèrent en fumée, dix jours avant la mort du romancier russe.
La cabane des Lowry en Colombie-Britannique, emportée par un incendie, abritait un roman de mille pages In ballast to the white sea, deuxième version donnée par son auteur.
Enfin, Ted Hughes, veuf de Sylvia Plath, décida de sauver une partie de ses œuvres, de les publier, et d’en soustraire d’autres, dont un roman Double Exposure.
L’enquête, minutieuse, haletante, décrit des destins singuliers, des parcours inattendus pour des œuvres sans doute essentielles mais disparues.
Un très bel essai.
Philippe Leuckx
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