Le Livre des anges, suivi de La Nuit spirituelle et de Carnet d’une allumeuse, Lydie Dattas (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Le Livre des anges, suivi de La Nuit spirituelle et de Carnet d’une allumeuse, juin 2020, 272 pages, 9,50 €
Ecrivain(s): Lydie Dattas Edition: Gallimard
Lydie Dattas et le cirque du monde
Aux marivaudages, Lydie Dattas préfère les gouffres obscurs de la poésie et la beauté de l’existence telle qu’elle est : « Percé de soleil rouge, mon verre de grenadine m’était une Sainte-Chapelle ». Et comme son héroïne de Carnet d’une allumeuse, elle peut se délecter de ses larmes.
Néanmoins, servant d’alibi sublime à la poétesse, l’adolescente expérimente l’avidité irrépressible du mâle pour en connaître les tenants et aboutissants. Elle peut se laisser faire lorsqu’un mâle force ses cuisses d’un genou en mâchonnant ses lèvres sous un porche. Mais qu’il prenne garde…
D’autant que pour l’auteure, l’Allumeuse est redéfinie. C’est celle qui éclaire, qui donne de la lumière. Et les trois livres (majeurs) réunis ici, l’amie de Genet, l’ex-épouse d’Alexandre Romanès avec lequel elle créa le cirque Bouglione, tourne ainsi autour du mystère des désirs loin des stéréotypes d’usage.
Preuve que celles qu’on nomme aussi des coquettes non seulement ont plus d’un tour dans leur sac mais poussent parfois le jeu de l’amour vers une dimension métaphysique inattendue. Le Livre des anges qui fut un évènement par sa force lyrique d’un chant qui navigue entre mysticisme, sensualité et féminité revendiquée. Le prouve aussi La nuit spirituelle où elle donne écho à ses relations ambivalentes et tourmentées avec Jean Genet.
Dans ces trois textes, Lydie Dattas préfère la puissance du cœur au prestige de l’intelligence. Elle a toujours laissé libre cours à son aventure existentielle et poétique – on peut presque dire que les deux se confondent. Et cette nouvelle version présentée ici des Carnet d’une allumeuse reste la lutte pour la force créatrice de la femme et dénonce tout ce qui la nie en l’enfermant dans le statut d’objet de séduction, de désir et de plaisir.
Grouillante d’émotions même aux heures gelées, la poétesse porte un firmament en elle. Son écriture au fil du temps montre comment s’y greffe la question de l’élan aux lamelles de la mémoire comme au plus profond de la gorge.
La créatrice ouvre les bouches féminines trop souvent cousues pour en retirer la rondeur. Ce qui ne veut pas dire que les mots s’apprivoisent. Mais Lydie Dattas marche avec leurs creux, les saute dans une cour abandonnée et ses mains tirent parfois les ficelles des mâles qui sont d’intimes marionnettes
Face à leur fable errante, elle les jette dans le soleil pour en abolir l’ombre du dedans et tracer son propre cheminement.
Jean-Paul Gavard-Perret
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