Le linguiste était presque parfait, David Carkeet
Le linguiste était presque parfait (titre original : Double negative), traduit de l’anglais (USA) par Nicolas Richard, 3 mai 2013, 288 pages, 19 €
Ecrivain(s): David Carkeet Edition: Monsieur Toussaint Louverture
Qui a tué Arthur Stiph ? Ce serait là l’argument d’un classique whodunnit s’il ne se doublait pas d’autres questions, tout aussi obsédantes pour le personnage principal, le linguiste Jeremy Cook : qui donc a pu le qualifier de « parfait trou du cul » devant la ravissante Paula ? Et que signifie m’boui dans la bouche de Wally Woeps, seize mois ?
Le genre du roman policier adopté par David Carkeet pour son premier roman, paru en 1980, est manié avec aisance et distance, pour bâtir une intrigue qui, sans se réduire à un prétexte, est subordonnée à la fantaisie d’un auteur soucieux avant tout de nous faire rire.
L’institut Wabash, spécialisé dans l’étude de l’acquisition du langage, est le cadre pittoresque de ce mixte entre David Lodge et Agatha Christie. Perdu au fin fond de l’Indiana, le centre de linguistique réunit une poignée de linguistes plongés dans l’étude des babillages des bébés d’une crèche placée au milieu d’un espace circulaire évoquant irrésistiblement le panoptique de Jeremy Bentham.
Pourtant, en dehors de leur spécialité, ces linguistes ne paraissent guère observateurs, trop occupés qu’ils sont de leurs médiocres vices et de leurs ambitions. Plus ou moins alcooliques, obsédés sexuels et vaniteux, les universitaires – tous masculins – forment ici comme chez David Lodge un tableau quelque peu pitoyable d’un monde académique renfermé sur soi-même. Ils ont tout le moins l’immense qualité d’être amusants dans leurs sympathies et antipathies infantiles qui les rapprochent de leurs sujets d’étude – les rendant in fine attachants.
L’écriture fluide de David Carkeet et son habileté à nourrir un canevas attendu de roman policier de saynètes cocasses font de Le linguiste était presque parfait un roman qui se lit d’un trait, avec un grand plaisir. La place qui y prend la linguistique est l’un des composants essentiels de ce plaisir comme de l’originalité de l’œuvre. Constituant le filtre à travers lequel Jeremy Cook voit le monde, cette science devient une méthode d’enquête criminelle et donne lieu à des scènes tout aussi drôles que suggestives. Saluons en particulier celles consacrés aux recherches de Cook sur les idiophénomènes, ces expressions inventées par l’enfant au cours du processus d’acquisition du langage sans procéder d’une imitation du monde adulte. La signification du m’boui de Wally forme ainsi, au fond, le mystère principal du livre, plus encore que l’identité du meurtrier d’un vieux linguiste. Monsieur Toussaint Louverture promet la parution des deux autres romans de David Carkeet consacrés aux aventures de Jeremy Cook, ce dont on ne peut que se réjouir.
Ivanne Rialland
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