Le langage des cactus, O. Henry (par Léon-Marc Levy)
Le langage des cactus, traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias, 153 p. 7,65 €
Ecrivain(s): O. Henry Edition: Rivages
Attention, ce petit recueil peut vous faire mourir. De rire. Huit petites nouvelles, écrites à l’aube du XXème siècle, d’une modernité saisissante et d’une drôlerie de chaque instant vous attendent dans ce recueil. Encore une fois, Rivages est allé dénicher une pépite en la plume de O. Henry, journaliste et écrivain dont le talent de nouvelliste était tel qu’en 1919, neuf ans après sa mort, le plus prestigieux prix de la nouvelle américain a pris son nom, le « O. Henry Award ».
Les univers de O. Henry sont très souvent ancrés dans New-York, son dynamisme, son expansion foudroyante, sa modernité unique au monde en ce temps. Les personnages de ces nouvelles sont journalistes, malfrats, hommes d’affaires (c’est souvent la même chose ici), écrivains (encore la même chose ?). Tous rêvent de réussite, de gloire, d’argent. L’American Dream en est à ses palpitants débuts post-industriels. Mais chez O. Henry, ce rêve n’est jamais pris au sérieux et ses personnages s’y empêtrent, s’y débattent comme ils peuvent, à leur grand dam et à notre grande joie de lecteurs. Le dérisoire le dispute au pathétique et tout y passe : la réussite, la richesse, même les étranges nouveaux statuts sociaux :
« J’étais cette année-là l’attaché de presse de Binkly & Bing, organisateurs et producteurs de spectacles. Bien sûr, vous savez ce qu’est un attaché de presse. Eh bien, c’est précisément ce qu’il n’est pas. C’est d’ailleurs le secret de la réussite, dans cette profession. » (in « La Campagne en Ville »
New-York l’été (in « La Campagne en Ville ») est une sorte d’étouffoir urbain, écrasé de chaleur et peuplé d’une faune des plus rares : ceux qui ne partent pas de la Ville – parce qu’ils ne peuvent la plupart du temps ou – comme ce narrateur – qui ne veulent pas partir, pour des raisons aussi irrationnelles qu’obscures. Il préfère jouer les anthropologues dans les rues de « Gotham », dénicher ses scènes cocasses :
« Dans les rues transversales, sur les marches des perrons des vieux immeubles en grès rose s’agglutinaient des « perronistes », spécimens de cette race pittoresque issue des soupentes et des chambres en sous-sol, venus avec leur paillasson pour s’y asseoir et emplir l’atmosphère de bruits divers et d’opinions étranges. »
Rencontres avec des personnages éberluants, comme ce général sud américain décidé à payer des publicistes new-yorkais pour mener sa campagne à l’élection présidentielle.
« - Retirez sur moi ! nous supplie le général, retirez sur moi pour de l’argent quand que c’est necessario
- Il veut qu’on lui fasse les poches tu crois ? me demande Denver en plissant les paupières. » (In « Avec les compliments de la direction »)
Le mythe américain (déjà) revisité, au début du XXème siècle, et ses cauchemars revus au crible d’un humour de chaque page, de chaque ligne. Même le pire fait rire sous la plume lucide et drôle de O. Henry.
« Il y a deux mois, dit Buckingham Skinner, je faisais des affaires au Texas grâce à un modèle breveté d’allume-feu autonome instantané, un mélange de cendres de bois et de benzine qui s »’enflamme grâce à une pierre à briquet et une mèche d’amadou. J’en ai vendu des caisses dans les villes où les gens aiment bien se débarrasser des nègres par combustion rapide, sans avoir à demander du feu à qui que ce soit. » (in « Docteur Boncoeur et Mister Jarnac »)
Petit chef-d’œuvre d’humour, ce (trop court) opus est aussi un remarquable exercice de traduction car les expressions populaires et jeux permanents de mots et d’images obligent à une traduction toute en équivalences idiomatiques. Exercice de haute volée réussi par Jean-Paul Gratias.
Lisez ce bijou, vous en rirez encore en y pensant longtemps après. Un conseil : si vous lisez au lit arrangez-vous à être seul, vos secousses de fou-rire risquent de déranger.
Leon-Marc Levy
VL4
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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