Le jour du chien qui boite, Werner Lambersy (par Murielle Compère-Demarcy)
Le jour du chien qui boite, janvier 2020, 36 pages, 8 €
Ecrivain(s): Werner Lambersy Edition: Editions Henry
Ce nouvel opus de Werner Lambersy est un credo, un livre de prières adressé au monde dans le désir vivant de le voir s’accomplir à hauteur d’humanité, mû par l’amour (« L’amour est l’échelle de secours »), la fraternité, grandi par la beauté. Le constat du poète est lourd de déceptions et d’amers états des lieux mais s’il s’en remet à Celui qui pour certains créa le monde, c’est que l’espoir reste vivace :
« Seigneur puisque tu n’existes pas
Je me confie à toi »
Marginal, désœuvré, sans domicile fixe, après avoir « traversé, brisé ce jour du chien qui boite », l’homme qui s’exprime encore ici a entendu « que le monde n’a pas besoin de poète » et cependant affirme que la beauté a besoin qu’on la voie, « même si ce n’est que son ombre emportée ». Et ce recueil fait entendre l’écho de cette ombre emportée sous le feuillage du retrait qui fait silence pour mieux écouter et faire entendre le monde bruissant alentour qui ne cesse de veiller et de nous mettre en tension pour se sentir vivre.
« Dans l’hiver rude de (s)on âme », le poète remue la nuit dans le chaudron de sa « colère » et de sa « tristesse », de ses « regrets » et « échecs », « Ulysse toujours au bord : De la beauté et de l’horreur », face aux mets et mots mal cuisinés qui mettent à mal l’être du monde, la question de l’être pourtant essentielle… cependant le poète résiste et continue de faire corps avec le monde qui le porte et qu’il porte (« pour regarder dehors loin de son/ Corps le monde est un chien qui/ Boite il me suit se couche à terre ». Road-movie dans lequel s’écrivent des bribes d’existence « comme ces débris dérivant dans un cloaque/ De boues et de pensées boueuses auxquels/ les enfants jettent des pierres (…) », cet opus ne laisse cependant pas de continuer de croire en un monde possible reconsolidé par sa réconciliation avec le sens de son Histoire :
« Je suis triste mais je sais toujours
Pourquoi écrit Genet destination
Auschwitz Chatila KGB Cambodge
La place Tien An Men ou l’Afrique »
et par sa résilience dans le franchissement surmonté des écueils (« cependant ! Ce monde absurde/ Est superbe (…) ». Le poète est ce « chien qui boite » qui attend son heure comme une caresse inespérée, une parole fraternelle, et « marche et va/ de l’avant » comme « celui qui chante magnifique/ Et serein dans la forêt sans âge de ses/ Pensées », dans « la joie sans mesure » de vivre et de goûter le présent augmenté de poésie ardente, accablante, amoureuse, titubante, clairvoyante, « hirondelle matinale(qui) danse à la corde sur/ la ligne d’horizon ».
Murielle Compère-Demarcy
- Vu : 1912