Le hibou, le vent et nous, Fabrice Melquiot
Le hibou, le vent et nous, 2013, 140 pages, 13 €
Ecrivain(s): Fabrice Melquiot Edition: L'Arche éditeur
Les vieilles chansons italiennes
Le titre de la pièce de F. Melquiot, Le hibou, le vent et nous, nous emporte dans la douceur de ses mots, dans la nostalgie du temps perdu de nos enfances, celui des vieilles chansons italiennes : Sapore di sale, sapore di mare… en ouverture et Cosa sarà avant le noir final. L’enfance est toujours une histoire d’adultes et d’enfants rêveurs. Les personnages de Melquiot traversent le temps, successivement 1976 et aujourd’hui. Lola et Sébastien vont grandir. Ils forment un quatuor (adultes-petits). Face à eux, Gérald, le grand frère de Sébastien qui a « deux âges à la fois », est le passeur des souvenirs. Il est d’ailleurs postier dans la vie. L’enfance nous ramène au conte merveilleux, à l’incertitude magique de la nuit : la nuit d’avant et celle d’aujourd’hui. L’enfance entraîne Lola et Sébastien dans la forêt, lieu des épreuves et des révélations. Les enfants comme les poètes fuguent. Il neige, c’est Noël. Les parents et le grand frère s’inquiéteront mais peu importe. Lola « veut voir le vent » (p.22) et Sébastien réclame son « vrai père », le hibou, le grand-duc. Les enfants et les animaux se métamorphosent :
Ils passeront leur bec sous mes dessous de bras et puis sur mes pieds, mes plumes repousseront d’un coup, des aigrettes prolongeront mes sourcils…
Ils décident de « crever les yeux » de la lune, toujours à leurs trousses. Melquiot fait de cette nature fantaisiste de fable de vrais personnages de théâtre : la voix du vent et la voix du hibou figurent dans la liste des personnages. Dans la future mise en scène de la pièce, F. Melquiot prévoit d’ailleurs un fauconnier (Alexandre Thévenin) ; preuve qu’il y aura sur le plateau un oiseau nocturne. Les enfants touchent à la poésie du monde. Ils voient l’invisible. Et la petite Lola de redire :
Les choses qui échappent sont les seules qui sont vraies (p.37)
Le vertige est la seule chose vraie (p.41)
Lola et Sébastien deviennent aussi des chauves-souris pendues aux arbres (p.48).
Les animaux eux-mêmes dialoguent et les deux enfants imaginent leur conversation :
Le bouquetin vient d’avouer au chamois qu’il n’en peut plus d’avoir des cornes (p.49).
L’enfance recommence dans les souvenirs : Gérald en est l’un des récitants, le gardien de la maison « de Papa et Maman » :
C’est notre maison, Sébastien. A toi et moi. Notre maison à nous. C’est la maison où on a appris à marcher, la maison où on a appris à parler, à lire, à écrire, la maison où Papa et maman ont été heureux (p.48).
Lola porte à son tour une vie, une enfance, celle de l’enfant de Sébastien, un garçon, une fille ? Leur vie rangée, celle de leurs études à Grenoble et à Lyon, a échoué. Ils reviennent dans la montagne, loin des illusions perdues. Sébastien est un cadre au chômage et qui cache sa situation à sa compagne. Lola, elle, a gardé sans doute en elle davantage la rêverie du passé : elle est violoncelliste. C’est elle qui retourne dans la forêt d’hier. Elle se revoit avec Sébastien dans le brouillard et le vent tourbillonne encore. Les deux Lola se font face, celle de huit ans et celle de quarante-trois ans. Elle est prête d’accoucher :
Je me vois. C’est les bottes de sept lieues, cette phrase ; je me vois. Je suis là deux fois. Moi et moi(p.68).
Le retour dans l’enfance signifie nécessairement le retour du merveilleux, de la fusion des hommes et des animaux. Les rêves se réalisent. L’enfant de Lola et de Sébastien n’est autre qu’un charmant hibou, le petit-fils des songeries de son père. Les « mystères savent ce qui est vrai ». Une didascalie annonce le miracle (p.75) :
Les manteaux s’ouvrent doucement.
Les jambes de Lola retombent dans la neige.
Et surgit un hibou, un vrai hibou.
Le merveilleux alors célèbre avec humour cette naissance inattendue mais heureuse parce qu’enfantine. Gérald s’inquiète un peu mais il aime déjà son neveu même si tout cela est un peu déstabilisant. Comme dans le conte merveilleux, tout finit bien : ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants hiboux. Et c’est le nouveau-né grand-duc qui prononce la moralité de la pièce en langue hibou : La vérité, tout le monde sait qu’elle sort de la bouche des enfants.
Si la pièce de F. Melquiot est éditée dans une collection plus particulièrement destinée au jeune public, il n’en reste pas moins vrai qu’elle parle à tous les enfants que nous sommes restés. Elle est l’enfance de l’art.
La pièce sera créée en septembre 2013 au théâtre Am Stram Gram à Genève dans une mise en scène de l’auteur.
Marie Du Crest
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