Le Harki de Meriem, Mehdi Charef (par Yasmina Mahdi)
Le Harki de Meriem, Mehdi Charef, éditions Hors d’atteinte, mars 2024, 224 pages, 16 €
Supplétifs algériens
L’écriture de Mehdi Charef (né à Maghnia en Algérie en 1952, écrivain et réalisateur de 11 films, doté de nombreux prix dont celui de la jeunesse au Festival de Cannes 1985, du Jean-Vigo 1985, et du César du meilleur premier film), est poignante, acérée, émouvante car si près des êtres déchus, des éclopés du prolétariat et de l’immigration. Le deuxième roman de l’auteur se situe dans une ville moyenne de province où les classes sociales sont clivées entre les immigrés, les racistes criminels (les fascistes et les identitaires) et les harkis. Des personnages brisés ont tout perdu, tout « en sueur et en larmes ». Comme par exemple, Pierre, l’alcoolique : « Sa petite tête de fouine fatiguée penchait sur son long cou comme une fleur qui se fane sur sa tige », la prostituée anonyme, « la plus belle des filles de rue (…) sa jupette violette coupée au ras des fesses et, dessous, le string presque invisible partageant deux belles parts », ou le jeune Sélim, jeté dans la fosse aux lions.
La brutalité à cru est du côté du pouvoir, de la force, de la lâcheté et de la bêtise. Les lois françaises sont stigmatisantes avec une école à deux vitesses (les propos humiliants et les voies de traverse pour les enfants d’immigrés), l’opprobre contre les harkis et les harkias (les traîtres) de la part de la famille du bled et des « petites Arabes » de France. Les quotas sont déjà en place afin d’éviter le trop plein d’étrangers. L’Algérie des perdants, Mehdi Charef ose la décrire, dans son injustice criante, celle des « indigènes » engagés dans l’armée régulière, l’autre face de l’Algérie (évoquée plus rarement), celle de la honte, de la défection, qualifiée comme telle par les moudjahidine de l’Armée de libération nationale. Au milieu de situations dramatiques, les harkis ont été jetés sans ménagement hors de leur pays, rejoignant le triste cortège de l’immigration, la fatalité de l’exploitation et le rejet de la société française. De plus, ces femmes et ces hommes harkis ont été accablés d’une double discrimination de la part de leurs compatriotes et des Français les ayant reniés – un lourd fardeau à porter.
L’on retrouve le lot commun des exilés de la génération des indépendances : l’absence d’état civil, l’illettrisme, l’atroce misère des douars, la fracture générationnelle entre parents et enfants, l’invisibilisation, la solitude, le dénuement, la perte des racines, l’éparpillement de la diaspora et le rêve d’un hypothétique retour au lieu d’origine. Le mutisme, l’incompréhension culturelle et la ségrégation ont ruiné l’existence des supplétifs algériens, enrôlés par l’appât d’un (maigre) gain, afin de pouvoir manger quotidiennement, d’empêcher leur famille de crever de faim et d’être habillés et chaussés convenablement. Ces omissions, cet effacement de l’histoire, sont traduites dans la réalité intérieure d’une famille. Ainsi, en 1959, le départ du couple Meriem et Azzedine, les héros du roman, est dû à l’intolérance des coutumes, la dureté du travail de la terre, la famine. D’où l’engagement d’Azzedine « dans l’armée française. Quinze francs la semaine » ; suivront « trente années d’exil ».
Le pire a été pratiqué, le viol et la torture par les militaires, bien loin du message de l’apport civilisateur de la France (voir le 8 mai 1945, les vingt mille morts des « massacres de Sétif, Guelma ou encore Kherrata »). Mehdi Charef, sans tabous mais avec beaucoup de compassion, relate les conséquences d’un enrégimentement au sein de l’armée ennemie de pauvres paysans qui seront condamnés à mort par le FLN. Relégués en France dans des ghettos de transit, abandonnés, les harkis ont été traités comme des parias, marqués au fer rouge. « Les enfants d’Algérie étaient devenus des hommes et les vieux, le manque les avait creusés. Ils marchaient comme ceux qui ne rêvent plus avec dans leur maigre figure de grands yeux secs. (…) Ceux d’ici, les harkis, les pieds noirs, les juifs avaient tous l’air de dire aux autres : “Excusez-nous, mais nous, on ne sait même plus pleurer” ».
Pour les enfants d’Azzedine et de Meriem, prisonniers de cités-béton parmi les « amis bicots, nègres et juifs, entassés sur ces sols superposés qu’on appelle étages », entre « la synagogue (…) l’épicerie de Mongi le Tunisien (…), quelques Fracaouïs de prolétaires d’HLM » au tir facile, et « quelques seringues », le destin sera marqué par les épreuves. Le Harki de Meriem est un très beau roman, un témoignage qui met en scène une problématique d’actualité, formant les soubassements secrets de la société française.
Notons que « les dépouilles d’une cinquantaine d’enfants décédés dans le camp de harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) datant du début des années 1960, doivent faire l’objet de fouilles et d’une réhabilitation de la mémoire avant l’été 2024. Le camp de Rivesaltes a accueilli près de 21.000 harkis et leurs familles entre 1962 et 1964, dans des conditions reconnues par l’État comme “indignes”. De nombreux enfants en bas âge sont morts de maladie, d’anémie ou d’autres sont mort-nés. Ils ont été enterrés dans ces cimetières de fortune, laissés ensuite à l’abandon. Le 20 mars 2023 un cimetière d’enfants harkis a été identifié sur le camp de Saint-Maurice l’Ardoise (Gard) » [extraits de France info, 2024].
Yasmina Mahdi
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