Le Grand Sylvain, Pierre Bergounioux
Le Grand Sylvain, mars 2017, 80 pages, 25 €
Ecrivain(s): Pierre Bergounioux Edition: Verdier
À Gif, à Brive, ailleurs, Pierre Bergounioux s’est toujours interrogé subtilement, finement, au plus nu, sur les pertes, les « peines et profits » de l’enfance pourvoyeuse de découvertes mais aussi d’âpres chagrins.
« Tenir registre » comptable de cela : tel est le projet d’une « capture » symbolique à plus d’un sens. La Capture que propose Verdier est sous coffret cartonné, un livre, Le Grand Sylvain, et un film éponyme.
De quelles captures s’agit-il ? D’une capture psychologique où l’enfant soudain est visé comme le premier stade d’une mue irrémédiable : l’adulte qu’il sera et qui fouille déjà en soi les prolongements de sa mue.
D’une capture réelle, où l’entomologiste, à l’aune du grand Fabre, s’amuse à mesurer cet état d’enfance qui surveille, observe, perd son temps pour recueillir, sans doute, des manières de miracle : ainsi le cétoine et la mort, l’univers où il peut se révéler, le temps qu’il faut pour la « prise », « la capture ».
Du temps : à capturer. Le temps de l’enfance se dilue, se pose, s’interrompt : à l’âge où « mon repos s’est trouvé dépendre des insectes, de possessions infinies, au mépris de la notion plus saine… ». La mémoire nous joue des tours pendables : « ce dont on se souvient, c’est surtout ça, du mauvais ». Entretemps, l’enfant n’est plus l’enfant qui stoppait le temps à grand renfort de quêtes rares, ce temps immobilisé de l’enfance : « La perfection de la vie, c’est le présent pur ». Bachelard, celui de L’intuition de l’instant, en hommage au grand Bourguignon Roud, sait aussi que c’est l’âge de la « plénitude » (5 ans).
On capture chez l’enfant, en écrivant comme le fait Bergounioux, « de l’enfant », « l’adulte » qu’il sera, qu’il est en avant de lui, à l’instar des métamorphoses de certains insectes : « le gosse » (de 5 ans, j’ajoute) « tient registre » et le futur « adulte » n’a pas trop le choix « dans sa gousse de chair ».
Mais il est beaucoup « plus difficile de trouver quelque chose que de le perdre » : « il y a un gosse qui réclame obstinément, le nez en l’air, le doigt sur la première ligne, le mot “insecte”, tracé de sa main malhabile ».
Revenir à l’origine de ce « gosse », est-ce donc la « capture » ?
Et parfois, ce « gosse » lâche la prise et il lui faut « vingt années pour la reprendre ».
Certes, tapi entre les lignes, les broussailles, veille l’auteur, l’écrivain : « J’ai pris le registre qu’un gosse m’avait, en s’en allant, confié, pour me porter ensuite… mais aux pires endroits, aux pires heures ».
Il faut donc aller – au-delà des distances temporelles et géographiques – retrouver là-bas, en Dordogne, l’enfant, sa prise, les Cétonidés qui « aiment le plein midi », « les feux de l’heure méridienne, faste de juillet ».
Au bout du compte, l’écrivain, remplaçant l’enfant, peut, au registre des « pertes, peines et profits », cueillir un brin d’expérience immuable, lui qui a tant mué pour se retrouver.
Rameuter la période des cinq ans (vers 1954) pour l’éclairer à la lumière adulte de 2007 (2017, deuxième édition).
Celui qui écrit « on s’avise qu’on a un cœur, qu’il cogne » sait aussi qu’il est possible de « se réfugier dans l’inaccessible profondeur du temps » et en prélever des pépites.
Un grand livre.
Philippe Leuckx
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