Le goût de Tokyo, Michaël Ferrier
Le goût de Tokyo, novembre 2017, 128 pages, 8 €
Ecrivain(s): Michaël Ferrier Edition: Mercure de France
Dans l’esprit de la série qui souhaite donner goût et envie pour des centaines de lieux, thèmes, pratiques, objets divers, ce petit volume de Ferrier, victime consentante de « la tentation du Japon » (j’emprunte des bribes de l’un de ses titres), arrive à donner de la ville tentaculaire, moderniste et tout à la fois provinciale en diable par ses quartiers décentrés et/ou oubliés, une vision qui ne se réduise pas à la seule fréquentation par des notables de notre culture occidentale, toujours enclins à ne voir dans ce qui est loin qu’une part un peu trop évidente d’exotisme. Bien sûr, Ferrier convie des pointures aptes à nous guider, pas seulement en cicérones avertis mais en spécialistes des usages, des us et des signes (Lévi-Strauss, Barthes…). Des chapitres nous chapitrent subtilement sur ce qu’il ne s’agit pas de penser un peu niaisement de ce monde lointain : tout est différent sous le soleil nippon jusqu’aux adresses ignorées. Pas de numérotation à la belge ou à la française mais un sens assez étrange du cadastre urbain, pour des facteurs/factrices qui s’y retrouvent comme poissons à la mer !
On apprend que Tokyo est un phare de la mode ; et par Maurice Pinguet, illustre résident aujourd’hui méconnu, que la maison japonaise toute de cloisons est un hymne à l’ouverture, à la « circulation » aérée de l’espace, que nous, Occidentaux, ne connaissons guère : maisons en série, façades rectilignes, etc.
L’architecture, soignée, les « love motels » (où il est loisible d’échapper à la promiscuité pour s’ébattre), les rappels un peu forcés de Yourcenar à propos des mécaniques d’usage dans les relations humaines (elle compare les Japonais à de petits robots drillés), l’esprit de village de certains quartiers (et cette fameuse distinction entre la culture de la « ville basse » et cet esprit « shitamachi » et le « côté des collines » des « yamanote », plus bourgeois, plus traditionnel, selon Nicolas Bouvier, expert voyageur), la fascination que la grande ville exerce sur Maryse Condé et d’autres, la publicité omniprésente : autant de traits perceptibles au travers de cette belle anthologie où ne manquent même pas les fameux haïkus et autres poèmes, puisque Richard Brautigan s’y est exercé en tissant journal de bord et poésie :
Chauffeur de taxi
Je l’aime bien ce chauffeur de taxi
qui fonce dans les rues sombres
de Tokyo
comme si la vie n’avait aucun sens.
Je me sens pareil.
(in Journal japonais, Castor Astral, 2003)
Philippe Leuckx
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