Le Goût de l’ombre, Georges-Olivier Châteaureynaud
Le Goût de l’ombre, février 2016, 192 pages, 16 €
Ecrivain(s): Georges-Olivier Châteaureynaud Edition: Grasset
Rares sont les bons auteurs de nouvelles publiés en France, en raison d’une timidité éditoriale envers le genre. Georges-Olivier Châteaureynaud fait exception à la règle, dans une veine que ne renieraient pas les écrivains anglo-saxons (Poe ou James) ni les conteurs latino-américains (Quiroga ou Borges) ni, encore et surtout, les nouvellistes français du XIXe siècle comme Théophile Gautier ou Balzac.
Georges-Olivier Châteaureynaud s’est imposé comme l’un des auteurs contemporains de nouvelles fantastiques les plus féconds. Le goût de l’ombre, recueil de sept nouvelles écrites entre 1993 et 2015, dont la rédaction de certaines s’étend sur plus de dix ans, dans sa maison de Palaiseau-Lozère, font état de la richesse et de la variété de l’imaginaire de l’auteur.
La plupart des nouvelles prennent place dans un contexte réaliste – villes de province où le temps s’écoule paresseusement –, un contexte souvent sombre et un peu terne : modeste entreprise de pompes funèbres, boutique d’antiquités poussiéreuse, restaurant de quartier… Et puis cela décroche : un homme récemment décédé continue à vivre, une momie se met à parler, un chien effrayant se dresse sur la route du narrateur, un homme se sent attiré par la taxidermie humaine des égyptologues.
On retrouve là l’univers de : La peau de chagrin, ou Le pied de momie. Seule L’autre histoire rompt avec le décor morne ou suranné des autres nouvelles : le récit prend place sur une île paradisiaque détenue par un milliardaire amateur d’arts et de spectacles, qui réunit lors d’une fête somptueuse des personnalités pour le moins hors du commun.
Le chef-d’œuvre de Guardicci, troisième nouvelle du recueil et l’une des plus emblématiques, raconte l’amour progressif d’un homme pour une momie, découverte puis acquise dans un cabinet d’antiquités :
« Un tel article n’est pas d’une vente facile, me dit-il, mais je n’ai aucune inquiétude. Cette momie partira. Elle ne vous était pas destinée, voilà tout ! […] Qu’est-ce qu’il voulait dire ? Que j’avais l’âme trop grossière ? Qu’en savait-il ? Je m’estimais digne, soudain, de posséder cet objet si singulier, à la fois macabre et raffiné ».
La momie, chèrement acquise, est douée de vie, s’anime la nuit, comme la cafetière de Gautier dans la nouvelle éponyme, se met à chanter en breton, puis à énoncer des bribes de souvenirs, en français.
« Sans doute ce sourire resta-t-il ébauché sur sa face quand j’eus reposé sur elle le masque de bois. Trois jours plus tard, la momie articula ses premiers mots ».
Touché, ému, emporté par ce mystère, son propriétaire donne un prénom, peut-être issu du Pêcheur d’Islande de Loti, à sa momie, l’écoute, prend soin d’elle comme d’une morte amoureuse. Au point de mettre en danger sa propre vie sentimentale. Pour G-O Châteaureynaud, l’irruption du fantastique comporte nécessairement une part de danger, souvent mortel. Chacune des sept nouvelles du recueil porte ainsi la sienne, que le lecteur prend en charge et suit pas à pas, tenu en haleine jusqu’à la dernière page.
Sylvie Ferrando
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