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Le Garçon Scènes de la vie provinciale, Olivia Resenterra

Ecrit par Pierrette Epsztein 21.10.16 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Serge Safran éditeur

Le Garçon Scènes de la vie provinciale, août 2016, 144 pages, 15,90 €

Ecrivain(s): Olivia Resenterra Edition: Serge Safran éditeur

Le Garçon Scènes de la vie provinciale, Olivia Resenterra

 

Le projet d’écrire sur le rien est-il réalisable ? Est-il possible d’écrire sur la platitude, l’inconsistance, la petitesse, l’immobilité du quotidien, sur la routine des heures qui défilent ? Oui, dans le roman Le garçon Scènes de la vie provinciale, l’auteur, Olivia Resenterra, réussit parfaitement cette prouesse. Ce roman est hors temps, hors sol. Nous ne saurons pas dans quel lieu il se déroule. Nous saurons juste que les jours y défilent dans la même monotonie, la même inertie. En effet, l’intrigue de ce court récit est très mince, resserrée autour de deux personnages, une mère et sa fille, dont l’existence est d’une banalité affligeante.

Une violence sourde émerge de cette relation glaciale et glacée. L’auteur montre, avec une précision chirurgicale, la grisaille de l’existence provinciale. Ces deux personnages qui vivent dans une fusion-confusion où chacun ne sait plus qui est qui et finissent lentement par se détruire mutuellement. Entre elles deux et avec les autres la haine et la rancœur dominent. Le corps devient inexistant, meurtri. Peu à peu elles se détruisent mutuellement. Leur vie se passe à regarder la télévision et à commenter les commérages du village. Et à les alimenter.

« Nous fréquentons principalement les habitants du village, et comme  le village n’est pas grand, nous voyons toujours à peu près les mêmes personnes ». « Quand j’étais petite, mère avait coutume de dire que nous étions bien entre nous, que nous n’avions pas besoin des autres ». Parfois, une visite est prévue et c’est pour elles deux tout un dilemme qui dérange l’ordonnance de leurs habitudes. Leur vie est remplie de rituels immuables. Ne pas déranger, ne pas salir, ne pas déplacer. Et rêver sans surtout mettre en acte leurs rêves. Chacune connaît toutes les manies de l’autre. Mais chacune aussi garde une part non formulable et non formulée. La mère rêve de petits-enfants et la fille à quoi rêve-t-elle ?

L’irruption d’un troisième personnage, un jeune garçon venu d’ailleurs, qui débarque inopinément dans leur quotidien, va venir bousculer et basculer cette insignifiance. Son entrée dans l’histoire va faire bouger un ordre qu’on aurait pu imaginer définitivement figé. Il va permettre l’inversion des choses, un passage du sombre à la lumière. Du statique au dynamique, de la survivance étale à la vie en mouvement. La mère voit le garçon en cachette et le garçon fuit la fille. Puis, cesse de venir.

Jusqu’au jour où la séparation devient inévitable. La mère chasse la fille de chez elle : « Je veux que tu partes ».

Et la fille va peut-être enfin pouvoir vivre sa vie. Mais de cela, le lecteur ne saura rien.

Flaubert écrit dans sa correspondance : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible si cela se peut ».

N’est-ce pas la même prouesse que cherche à renouveler Olivia Resenterra dans Le garçon. Le sous-titre Scènes de la vie provinciale le laisse fortement penser.

Elle parvient à appliquer ce dessein à la lettre par la force du style, resserré, tranchant, sans effet inutile, toujours sur le fil des mots pour en laisser entendre plus avec une simplicité de langage juste et percutant.

En effet, la quête de l’auteur n’est-elle pas de rechercher les signes infimes des frémissements de l’humain dans la monotonie, les indices de changements presque imperceptibles que provoque l’irruption de l’inattendu ?

Que retiendrons-nous de ce roman ? Quelle réalité Olivia Resenterra cherche-t-elle à cerner ? Qu’il existe des êtres qui acceptent de passer leurs jours à laisser filer le temps entre leurs doigts comme une coulée de sable dans un monde glauque, étriqué, coupé du frémissement et du risque du déplacement de la surprise. Et puis un jour, survient l’évènement inattendu, imprévisible qui va tout bousculer, qui va chambouler les places et les rôles définis et tout va basculer. L’extérieur va faire irruption sous la forme de l’étrange étranger. Et toute l’ordonnance des relations humaines va se trouver chamboulée. Fini l’enfermement, finie l’inertie.

Cette histoire, qui paraît au prime abord si banale, nous pose une question existentielle majeure. Que transforme-elle en nous ? En tant que lecteurs, elle nous contraint de reconsidérer notre propre présence au monde. Surtout en ces temps troublés, symptômes de notre époque de mondialisation où les frontières n’ont plus de sens, où des évènements tragiques nous somment d’accueillir l’étranger. Quelle sera alors notre décision ? Nous replier dans notre confort factice de l’entre-soi ou nous ouvrir au monde de l’autre, à l’inconnu, au neuf, au différent, à l’énigmatique ?

C’est un choix éthique fondamental qui s’impose à nous. Et nous ne pouvons plus tergiverser. Souhaitons-nous rester dans l’entre-soi au risque d’y perdre notre âme ou accepterons-nous de prendre enfin le risque de nous enrichir au contact de celui qui nous fera rencontrer d’autres cultures, d’autres manières de vivre et pourra nous apprendre tant ? Comment passer de l’hostilité à l’hospitalité ? Déjà Kant se posait la question.

 

Pierrette Epsztein

 

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A propos de l'écrivain

Olivia Resenterra

 

Olivia Resenterra est de nationalité française, née en 1978 à Rochefort-sur-Mer, et suit des études de philosophie à Poitiers, Salamanque puis à la Sorbonne. Bibliographie : Des femmes admirables, portraits acides (Essai), Puf, 2012 ; Le Garçon Scènes de la vie provinciale (Premier roman) Serge Safran, août 2016.

 

A propos du rédacteur

Pierrette Epsztein

 

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Rédactrice

Membre du comité de Rédaction

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d'édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset

 

Pierrette Epsztein vit à Paris. Elle est professeur de Lettres et d'Arts Plastiques. Elle a crée l'association Tisserands des Mots qui animait des ateliers d'écriture. Maintenant, elle accompagne des personnes dans leur projet d'écriture. Elle poursuit son chemin d'écriture depuis 1985.  Elle a publié trois recueils de nouvelles et un roman L'homme sans larmes (tous ouvrages  épuisés à ce jour). Elle écrit en ce moment un récit professionnel sur son expérience de professeur en banlieue.