Le garçon qui voulait dormir, Aharon Appelfeld (par Anne Morin)
Le garçon qui voulait dormir, traduit de l’hébreu par V. Zenatti, Paris, 2011, 297 p., 21€.
Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)« (…) ce pays lointain – quel est son nom déjà ? – » (p. 34), et c’est toute l’histoire des « réfugiés », ceux qui reviennent des camps, c’est aussi en grande partie, celle de la vie d’Aharon Appelfeld : revenir puiser dans son passé, pour l’écrire dans une langue qu’il doit forger, celle de sa nouvelle identité, car on a changé aussi son nom au jeune garçon. Non pas « dépouiller le vieil homme », au contraire, lui rendre, au mot près, dans cette musique nouvelle, celle dont Aharon Appelfeld dira qu’elle est celle de sa « langue maternelle adoptive ».
L’image de la mère, dont il fut orphelin très jeune se confond dans la langue qui se perd. Quand le jeune homme aura imité les chapitres de la Bible, qu’il recopie, il pourra ré-endosser tous les êtres qu’il aime. En attendant, le sommeil jette un pont entre deux états, entre deux mondes. Ce livre relate, avant tout, la réappropriation de soi, la reconstruction par la langue. Il est nécessaire au garçon de se reconnaître par les mots. A chaque instant, l’ascèse pour y parvenir : on est saisi, happé avec le jeune Aharon, par l’âpreté de la bataille qui se joue, ne pas, jamais laisser cours au désespoir.
Le stylo devient stylet, la langue hébraïque, un roc, une pierre dense et dure que le praticien ne sait comment dégrossir. Aharon la modèle, l’ameublit, trace dans une calligraphie hésitante le nom de ses parents, de ses aimés disparus mais reliés à lui : les noms anciens dans la langue nouvelle, étrangère, les « mots de la maison » à saisir dans une langue nouvelle, et si ancienne. Aharon n’étudie pas la Bible, on le lui demande et à sa réponse négative, on s’en étonne, il va à l’essentiel : il en retrouve la musique, le secret, la profondeur des mots, en la copiant. La comparaison est aboutie quand son ami Robert, qui se destine à être peintre, découvre sa « patte » en copiant Giotto.
Dans le dernier rêve d’Aharon, qui clôt le livre, sa mère lui dit « le langage qui était le mien me fait défaut » : désormais la voie (la voix ?) a « été forcée ». Les mots qui échappaient, des mots « contaminés » ou « durs comme le métal » débondent, non sans violence. Il s’agit encore, pour lui de « tailler dans la pierre », mais désormais Aharon sait comment et pour quoi tenir son stylo.
Anne Morin
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