Le fils du héros, Karla Suárez
Le fils du héros, août 2017, trad. espagnol, François Gaudry, 272 pages, 20 €
Ecrivain(s): Karla Suárez Edition: Métailié
Ernesto, l’antihéros cubain de cette chronique d’une enfance et d’une adolescence au temps des guerres de colonie, lorsque l’Angola et Cuba tissaient de sombres échanges de chair fraîche, campe un bien beau personnage, portraituré par Karla Suárez avec toutes les nuances réalistes que ce genre impose.
Voici Ernesto, jamais remis de la perte de son père, entouré d’une fratrie et d’une famille au sens large, les frères des père et mère, le grand-père, les sœurs, qui connaît les heures aussi sombres et/ou exaltantes d’un pays coupé de tout par ses positions idéologiques, dans lequel il faut vivre pourtant.
L’on suit avec intérêt les tribulations politiques et amoureuses d’un gars qui s’est, dès le plus jeune âge, donné un bien beau compagnonnage d’ami(e)s : Lagardère, Tempête… Rosa, Alejandra, Renata sont les figures féminines qui vont aider Ernesto à se construire, au-delà d’une timidité native, au-delà des incertitudes. L’amitié de Berto, Cubain installé à Lisbonne, passionné comme lui par tout ce qui touche au pays natal, va plonger notre Ernesto dans la quête essentielle de ses origines, de Cuba à l’Angola qui a « pris pour toujours le père ».
La romancière réussit à donner un tableau vivant d’une longue période qui traverse les années 1980, 1990, 2000 : c’est l’histoire proche qui nous est contée là, avec ses turbulences, ses aléas, ses espoirs aussi, de changement.
L’antihéros voyage beaucoup, se forme à Berlin, réside à Lisbonne, et le lecteur, en sa compagnie, pousse les frontières, « communie » en ses périples. Il a adhéré aux « jeunesses communistes », a connu là l’exaltation naturelle de la jeunesse qui cherche un meilleur avenir…
« Angola. Quand il prononça le mot, quelque chose en moi fit clac ou clic, je ne sais pas, en tout cas quelque chose se produisit et je me mis à parler. Je lui (Berto) dis que je m’intéressais beaucoup aux relations entre Cuba et l’Angola » (p.61).
« Un jour, le bon soldat a fini par devenir l’étranger car c’est ce que je suis aujourd’hui : un Allemand qui pense et parle en cubain. Je me rappelle le mail que m’a envoyé Lagardère quand on m’a accordé la citoyenneté allemande » (p.124).
Cette plongée dans l’histoire de nos années perdues, le lecteur la ressent intensément, comme si nous pouvions aisément la partager comme un terreau utile, fertile.
Un beau livre.
Philippe Leuckx
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