Le fil et la trame suivi de Par quels secrets passages, Danièle Corre (par Murielle Compère-Demarcy)
Le fil et la trame suivi de Par quels secrets passages, Danièle Corre, éditions Aspect, 2020, 110 pages, 17 €
« Tenir le fil de nos trames / qui parfois nous lâche », écrit la poète Danièle Corre, qui nous rappelle que le poème peut être ce recours existentiel pour « calmer la blessure ». Si le temps peut ravauder les carences, le manque, les « trous » qui forment les cahots de notre cheminement (« Les doigts courent / vers le fil de leur folie /ils connaissent / leur néfaste puissance »), seul le poème évite l’effondrement au bord du « vertige » sur le fil duquel nous (re-)tenir pour avancer « le cœur criblé ». La navette des mots tisse le patchwork de nos fragments d’existence, que le Langage poétique recoud, tisserand d’une « toile de résistance » à portée de nos voix quand elles entreprennent – à l’instar de la fleur rimbaldienne dans Aube – de dire le nom du Vivre vrillé au sens d’une quête initiatique. Encore faut-il amorcer notre avancée existentielle sur le bon chemin, celui qui impulse l’élan et soutient la dynamique de nos marches où « chaque pas te donnera vigueur / chaque geste nommera la joie », loin des « chemins des douaniers / où la mer rôde / dérobant sa puissance au vent, / redoublant l’immensité », loin des sentes trompeuses « posant sur la bouche / un bâillon d’ombre (la « bouche d’ombre », écrivait Rimbaud) / qu’il te faudra arracher ».
Quel bel hommage rendu ici au for intérieur et prismatique, vivante forteresse peuplée au cœur du monde entier, du poème. Et la poète Danièle Corre en a certainement expérimenté la force indestructible, elle qui a beaucoup voyagé avec, toujours, au bout infini de l’horizon, la destination sans cesse reconduite de l’écriture poétique.
La résistance, le refus de la résignation, de la compromission, tisonnent la flamme du poème : « Je ne suis pas du clan / des morts consenties » ; à une lettre près, nous pourrions lire aussi « Je ne suis pas du clan / des mots consenties », sans trahir la posture de la poète au cœur du monde.
On a brassé
bien des douleurs
mais jamais renoncé,
chaque matin,
à lever le rideau
sur les vitrines du vivre.
Le fil de la trame du parchemin ne se rompt pas, puisque le poète par la force résistante de ses mots les tisse opiniâtrement et sans courber l’échine sur le dur métier de vivre. Ce fil relie dans l’espace mémoriel du temps ses fragments d’êtres et de faits, « nos morts nous accompagnent / avec leurs gestes / qui nous mirent / debout / près des fenêtres » ; nous rassemblons « dans l’ordre de la nuit » (cf. Debout dans la mémoire, et La nuit ne se tait pas, de Danièle Corre) les visages de nos vies qui s’émiettent mais résistent à l’extinction.
Nous sommes d’un même tissu,
brûlé à un feu ancien
qui a laissé
doublure étincelante
Le poème exauce cette promesse de l’aube de ne pas laisser s’éteindre le « friselis d’étincelles » émis par ce même tissu qui nous enveloppe et nous porte au-delà des artifices, des trahisons, des mensonges, pour veiller la flamme bienveillante de nos « biens précieux ». Le fil et la trame est l’Écrire du poème étincelant, vibrant sur la page pour renouer les bribes de nos vies raccordées par les mots de la poète qui en fait surgir le sens, éblouissant en ses résurgences, et redonne aux « nappes blanches » du passé « leur royauté ». Nous avançons avec Le fil et la trame sur les sentiers d’une forêt dont l’accès nous est offert, pour notre bonheur qui nous impulse en retour l’envie de continuer la traversée, d’accéder en répits provisoires à des clairières salvatrices (cf. le vibrant poème dédié à Georges-Emmanuel Clancier).
Par quels secrets passages nous porte « droit debout / dans le temps », gardant nos yeux ouverts pour maintenir l’élan. Cousant le présent « au tissu d’enfance constellé », la poète nous donne par la trame flamboyante en nuances de ses mots qui amortissent les aspérités du Vivre en laissant sauve leur résonance, de retrouver « fil à fil » « le premier sentier » qui chante encore sous nos pas et trace ses sillons dans nos « émeutes de silence » cognant les écueils, « au croisement des voies ». Pour cela, la poète demande et porte la voix du poème « afin que se cicatrise / la béance en soi ». « L’être, dans ces forces vives ravivées, se reconnaît / d’emblée ».
Murielle Compère-Demarcy
Danièle Corre, née en 1946 à Villeneuve-sur-Yonne, est professeur de Lettres et poète. Elle a travaillé sur l’œuvre de Georges-Emmanuel Clancier, mis en place des ateliers d’écriture poétique pour la jeunesse, initiant ses élèves à la poésie contemporaine. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, elle a reçu de nombreux prix dont les Prix Jean Follain (1998), Troubadours (2004), Max Jacob (2007). Passionnée d’arts plastiques, elle collabore avec peintres et graveurs pour la réalisation de livres d’artistes. Elle a beaucoup voyagé : États-Unis, Canada, Mexique, Europe, Vietnam. Élue à l’Académie Mallarmé en 2015, elle est membre du cercle Aliénor qu’elle a présidé.
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