Le fil d’Ariane, Jan Bajtlik (Yasmina Mahdi)
Le fil d’Ariane, septembre 2019, trad. polonais, Lydia Waleryszak, 80 pages, 24,90 €
Ecrivain(s): Jan Bajtlik Edition: La Joie de lire
Jan Bajtlik nous livre avec Le fil d’Ariane un ouvrage à la fois documenté et divertissant. Cet album-jeunesse, destiné à des enfants (au passage du primaire au collège), se dote d’une courte introduction ainsi que d’un schéma-devinette qui renvoie aux explications des dernières pages. Le livre est de grand format (37,5 x 28,5 cm), cartonné, au fond bleu couleur de la mer Égée. Dès la première double-page, des personnages de différentes dimensions tournent dans l’espace sphérique du mont Olympe, entouré par l’eau primordiale des océans. Tout est circonvolutions, dédales, méandres, écheveaux, réseaux. Un peuple s’anime, des individus amphibiens, certains moitié humains, moitié sirènes, suivent des circuits complexes, en giration. L’auteur puise aux sources des poèmes d’Homère et à la Théogonie d’Hésiode. Quelques récits antiques célèbres, fondateurs de la civilisation occidentale, sont choisis par J. Bajtlik de manière assez accessible. Le fil conducteur part de la création du monde et va jusqu’à la représentation théâtrale des mythes grecs.
Le Minotaure au corps d’homme et à la tête de taureau est une figure très connue de la thérianthropie (ou zooanthropie), que l’on retrouve aussi bien à la préhistoire que dans le panthéon des divinités égyptiennes, ainsi que le thème inverse : la transformation d’un animal en être humain. Cependant, Minos, roi légendaire de Crète, devait livrer et sacrifier tous les neuf ans, au Minotaure prisonnier de son labyrinthe, sept jeunes filles et sept jeunes garçons. Sur ce, Ariane, la fille du roi Minos donna à Thésée, qu’elle aimait, une pelote de fil afin qu’il retrouve le chemin du retour du labyrinthe – ce qu’il fit, tuant au passage le monstre avec le glaive qu’Ariane avait volé à son père. Ainsi les personnages dessinés et peints par Jan Bajtlik rejoignent un long cortège de représentations d’un bestiaire magique, notamment inspirées des cratères à figures noires, des stamnos attique à figures rouges (v. 480 et 460 av. J.–C.), dont le Minotaure en pied et en gros plan de la couverture de l’album.
Par ailleurs, quinze cercles de La danse labyrinthique s’étalent en une spirale étourdissante, une danse graphique dans laquelle des femmes et des hommes stylisés, de profil, forment la garde rapprochée du Minotaure, qu’il entraîne en une suite ensorcelée. Un exercice plaisant pour les enfants serait celui de répertorier le nombre de personnages par cercle, par exemple… Les belles Crétoises apparaissent sur une autre double-page, ainsi que les habitants du Palais de Cnossos du XXe au XIVe A. J.-C., vaquant à diverses activités. Le liseur apprendra que les peuples antiques possédaient une civilisation raffinée, élégante, où l’art occupait une place importante. Les allégories effrayantes du belluaire grec vont hanter les imaginaires jusqu’au Moyen Âge chrétien, se transformer en puissances du mal. Tout au long du Fil d’Ariane, des numérotations au-dessus de chaque scène renvoient à des notes simples et claires à partir de la page 54, à propos de la généalogie des différentes épopées. Le labyrinthe revient comme idée directrice, fil conducteur d’une énigme, élément répétitif du jeu de rôle et de piste. Le labyrinthe est présent dans les édifices, les salles, les chemins, les galeries souterraines ou à ciel ouvert. Ce réseau compliqué est traduit par le dessin savant de méandres, de dallages, de mosaïques, où sont imbriquées les illustrations des faits et gestes des protagonistes, dieux, demi-dieux et héros, à travers lesquelles l’œil doit accomplir un certain effort pour la mémorisation des récits.
L’écriture des textes évoque l’alphabet grec et les lettres cunéiformes. J. Bajtlik traite l’espace un peu à la manière des estampes chinoises, dans lesquelles la perspective est sans point de fuite mais plane. L’ensemble se parcourt comme des tableaux, ce qui permet de revenir sur les micro-détails. Les hypothèses des quatre éléments d’Empédocle sont présentes. Les actes de violence et de cruauté des performances héroïques comme celles de La Guerre de Troie, Le voyage d’Ulysse : L’île des Cyclopes etvers Ithaque côtoient les paysages bucoliques. L’on pense également aux miniatures arabo-persanes. Les femmes – magiciennes, princesses, déesses – détiennent des pouvoirs immenses, au milieu d’un univers guerrier. Les couleurs de l’album sont variées et délicates, avec des camaïeux de bleus, de verts, de rose sable, d’oranges flamboyants, etc. Des rayures, des points et de petits traits parallèles, en angles, sinueux, en forme de vagues et de nuages, complètent le vocabulaire esthétique du Fil d’Ariane.
Les poètes et les lutteurs sont à l’honneur dans la cité d’Athènes, dans laquelle nous rentrons peu à peu, une fois les exploits consommés et apaisés, pour y trouver les festivités, les événements culturels, sportifs et religieux, sacrés (et les sacrifices), du Vè au IVe siècles av. J.-C.
Cette brochure dûment renseignée peut être consultée en famille, au vu des références sérieuses, de la chronologie, et également servir de base pour l’apprentissage scolaire.
Yasmina Mahdi
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