Le dragon du Muveran, Marc Voltenauer
Le dragon du Muveran, Ed. Plaisir de lire (Suisse), octobre 2015, 660 pages, CHF 23.- (17,50 €), août 2016, 516 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Marc Voltenauer Edition: Slatkine
Un polar montagnard et vaudois
Mû pas des souvenirs lointains, le lecteur que je suis butinait il y a quelques jours sur le réseau en quête d’un nouveau fond d’écran, une image du grand et du petit Muveran, montagnes vaudoises qu’il avait souvent admirées (et photographiées) dans son enfance… et, surprise, il reconnaît l’image d’un village familier qui fait l’annonce d’un roman récemment publié en Helvétie : un clocher de pierre avec le Grand Muveran en arrière-plan… Un polar qui se passe dans le village où j’ai passé tant de mois de vacances ! Une seule urgence s’impose alors : le trouver et le lire !
Le Dragon du Muveran, premier roman de Marc Voltenauer, se passe effectivement dans le village de Gryon et, au-delà de son décor, évoque et remue de façon très personnelle pour l’auteur de cette chronique, c’est en plus un bon, un très bon polar. Une vraie réussite dont les 660 pages (presque 666 !) ne m’ont pas résisté plus de trois jours.
A priori, difficile d’imaginer village plus tranquille que le village de Gryon, accroché à flanc de montagne, dont le charme a séduit bien des touristes et qui se dépeuple en bonne partie une fois passées les périodes de vacances. C’est pourtant dans le temple du village qu’un cadavre va apparaître, dénudé, les bras en croix sur l’autel, nu et poignardé en plein cœur, privé de ses yeux et accompagné d’une citation biblique. Pour l’inspecteur Andreas Auer, qui s’est installé dans le village il y a quelques années, la mise en scène du meurtre de l’agent immobilier du village évoque de façon inquiétante les pratiques d’un tueur en série… Et cela va rapidement se confirmer. Les premières victimes semblent cacher un passé commun, un passé auquel la pasteure Erica, qui a découvert le premier corps, pourrait bien être beaucoup plus liée qu’elle ne peut le dire.
L’habileté du récit est de nous donner quelques éléments que l’équipe de l’inspecteur Auer ne peut avoir, pas encore et pas sous cette forme, sans pour autant nous permettre de résoudre l’énigme posée. Petit à petit en effet, un récit parallèle à aujourd’hui nous est livré, celui de l’homme qui n’est pas un meurtrier. Une mémoire amère, distillée goutte à goutte, d’un passé qui remonte à quarante années, qui a lentement mûri et dont nous comprenons tout de suite qu’elle va nous révéler phrase à phrase le secret caché, inavouable, monstrueux… Mais l’auteur et le mystérieux narrateur savent entretenir une pénombre suffisante pour, comme on dit, entretenir le mystère. Mystère qui est aussi à entendre du côté du mystère religieux, des rituels qui mettent en scène les conflits du bien et du mal, avec toutes leurs ambiguïtés, leur flou et leur opacité. Cela est fait avec une écriture qui ne se perd pas inutilement en descriptions et climats, en « surenchères noires » et qui fait avancer le récit sans relâche, sans précipitation ni lenteur, jusqu’à son dénouement… dont nous ne dirons bien entendu rien.
Dans un décor « à contre-emploi » (un peu à la manière d’Hitchcock qui plante une séquence de suspense en plein soleil au milieu d’un espace sans surprise possible dans La mort aux trousses), nous retrouvons les figures et constructions classiques du genre, sans réelles surprises, mais avec une maîtrise assez étonnante pour un premier roman, nourri à la fois par les études de théologie de son auteur et par son goût déclaré pour les polars du grand nord. La couleur locale de l’écriture n’est bien sûr pas absente au long de ces six-cent septante pages, que l’on peut lire dans le refuge d’un carnotzet ou au buffet de la gare, mais avec un naturel qui ne cherche pas à en rajouter, et c’est tant mieux. Ce dragon ne sera sans doute pas remboursé par la sécurité sociale car l’auteur et ses personnages y font preuve d’un épicurisme tranquille qui nous donne bien envie de goûter à la cuisine, aux vins fins et aux cigares qu’Andreas et son compagnon savourent avec un plaisir communicatif, à la fois paisible et profond.
Simples lecteurs, nous nous contenterons de savourer un polar plus que réussi et tâcherons de patienter en attendant l’opus suivant dont l’éditeur, habile tentateur, nous annonce qu’il est en cours de rédaction…
La Suisse romande nouvelle terre du polar ? Cela se pourrait bien.
Marc Ossorguine
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