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Le doux parfum des temps à venir, Lyonel Trouillot

Ecrit par Victoire NGuyen 29.05.13 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Poésie

Le doux parfum des temps à venir, Editions Actes Sud, Collection Essences, mars 2013, 60 pages, 13,50 €

Ecrivain(s): Lyonel Trouillot Edition: Actes Sud

Le doux parfum des temps à venir, Lyonel Trouillot

 

 

Les promesses de l’aube

 

Le doux parfum des temps à venir est un texte poétique d’une soixantaine de pages. Sans précision de lieu ni d’époque, une mère sentant sa mort imminente, décide de parler à sa fille. Le lecteur apprend au fil de ce monologue le parcours tragique de cette femme qui porte en elle le poids de la faute et la colère des foules : « Un jour, / dans une grande ville ou dans un bourg, / mais qu’importe le lieu, / des hommes m’ont prise pour une vache ou pour une esclave. / Ils me levèrent de ma couche, / m’ont traînée sur une place, / et comme pour l’exemple, / ils ont donné ma nudité en spectacle à la foule / et marqué mon épaule de la fleur de la honte ».

Face à l’urgence de tout dire en une seule nuit, la femme, avec patience, défait un à un des mensonges qu’elle a façonnés puis transmis à sa fille. Elle lui murmure tout bas les raisons de ces fables qui faisaient d’elle une princesse des mille et une nuits. « Bonne mère à ma façon, / quand tu eus besoin de paroles, / j’ai dit les mots qui convenaient à ton âge / et gorgé des légendes pour saluer ta venue. / Aucune  n’était vraie. / Si aujourd’hui elles me paraissent vaines comme / toutes choses qui / ne tiennent pas la route, / hier elles me semblaient utiles ». Ainsi, la mère érige-t-elle des remparts, des forteresses de mots pour mettre sa fille à l’abri des violences de ce monde afin qu’elle puisse grandir et devenir forte, prête à affronter la vérité et le poids de la honte à son tour.

La mère peut alors, à l’heure de sa mort, transmettre l’ultime connaissance à sa progéniture, la prunelle de ses yeux : la vérité sur ses origines et le sens de sa vie future. Les souffrances, l’initiation à la violence aveugle des hommes et de la nature ne doivent en aucun cas fléchir la fille dans sa quête de la liberté et dans la recherche de son humanité : « Va, ma fille. / Tu prendras sur ta chair de femme une odeur de quatre saisons / qui se succèdent sans chicane, / sans querelles ni mauvaise saison, / tu iras au sommet de la plus haute montagne, / et tu danseras, / et ton corps libre de ses mouvements / libérera sur la tête du monde / une odeur d’union libre et de désir fou sans contraintes ni exigences, / et nul corps ne sera marqué par la violence du fer, / il n’y a en amour que des péchés d’orgueil, / tu répandras l’odeur du don / et la haine trouvera son maître./ »

La beauté du texte est saisissante. Lyonel Trouillot réhabilite la femme faisant d’elle la messagère de l’espoir. A l’inverse d’Eve qui plonge l’humanité dans la malédiction, la mère dans Le doux parfum des temps à venir répare et tente de laver la Faute Originelle. De même l’évocation d’un coffret dans les dernières paroles de celle-ci rappelle étrangement la boîte de Pandore. Si Pandore répand les maux sur terre et retient prisonnier l’Espoir, le coffret, seul legs de la mère à la fille, a une fonction particulière : « Je te laisse ce coffret vide où tu rangeras tes trésors / Et lorsque tu auras trouvé le doux parfum des temps à venir / tu le cacheras dans le coffret. / Tu iras au sommet de la plus haute montagne / et tu ouvrira le coffret. / Et déverseras sur le monde / cette odeur de fruit pur, de rosée franche ».

Le dernier opus de Lyonel Trouillot est un magnifique hommage à la femme, à la Mater Dolorosa. La mère ici n’est pas seulement la génitrice de la jeune fille qui l’écoute. Elle incarne la Mère de l’homme, la Mère Universelle campée dans sa douleur et résolument tournée vers les promesses d’une aube meilleure. Le lecteur, comme sa fille, écoute son chant du cygne. Comme la fille, il devient, le temps de ces pages, son enfant à qui elle confie le monde afin qu’il le ressuscite et le tire de sa torpeur léthargique des jours de deuil et de chagrin.

Le doux parfum des temps à venir est une invitation au voyage à la redécouverte des sens et notamment le sens olfactif, le plus ancien de tous du règne du vivant. Comme si la senteur est le seul moyen qui reste pour ressusciter un âge d’or, un temps dans lequel, l’odeur de la beauté, de l’harmonie parfumait la tête de l’homme, ivre d’amour et de liberté. Espérons comme l’auteur que Le doux parfum des temps à venir devienne le doux parfum des temps retrouvés.

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Lyonel Trouillot

Lyonel Trouillot est un romancier (et poète) haïtien. Il est né en 1956 à Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui. Il écrit en français et en créole. Il est aussi journaliste, professeur de littérature, participe activement à l’association Étonnants Voyageurs Haïti… Il écrit même des paroles pour plusieurs chanteurs haïtiens. C’est un écrivain engagé dans le présent, tout simplement.

Plusieurs de ses romans sont disponibles chez Actes SUD (dans la collection Babel) : Rue des Pas-Perdus, Les Enfants des héros, Yanvalou pour Charlie…

Lyonel TROUILLOT s’est vu décerner en 2009 le prix Wepler, pour son roman Yanvalou pour Charlie. La même année, Dany Laferrière – autre grande plume haïtienne – recevait le Médicis pour L’énigme du retour.

 


A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.