Le divin Chesterton, François Rivière
Le divin Chesterton, avril 2015, 216 pages, 21 €
Ecrivain(s): François Rivière Edition: Rivages
Cette biographie est un authentique roman. Impossible de faire autrement avec Chesterton, c’est un personnage de roman, haut en couleurs, tonitruant, falstafien. Il va secouer la très rigide littérature anglaise édouardienne de ses coups de gueule, ses prises de position littéraires à contre-courant de toutes les modes de son temps. Au point d’en être souvent agaçant, pour ses amis, ses collaborateurs, et nous, les lecteurs de cette superbe biographie.
Chesterton est un réactionnaire absolu et, ce qui en fait l’originalité, c’est que cette passion rétrograde et passéiste au plan de l’idéologie, en fait étrangement un créateur original, jamais dans la norme, toujours étonnant, inventif, scandaleux. On le surnommait le « Divin Chesterton », expression sortie d’une remarque de Franz Kafka, grand lecteur de Chesterton, qui avait dit à son propos : « Cet homme est tellement joyeux qu’on se dit qu’il a dû rencontrer Dieu ». On aurait pu tout aussi bien le surnommer « l’infernal Chesterton ».
François Rivière nous passionne dans cette visite du « Divin ». C’est une période intense de la pensée et des lettres anglaises que nous vivons dans la trace du géant (au sens physique du terme) débonnaire, épris de théories fumeuses et prônant des choix esthétiques peu courants alors. Entre autres, le fil rouge des passions de Chesterton a été le roman policier. Il admire Poe, se régale de Sir Arthur Conan-Doyle, adore, dès ses débuts, Agatha Christie qu’il va soutenir de toute sa notoriété. Lui-même, grand amateur de feuilletons noirs, va en écrire des dizaines, qui connaîtront un vrai succès populaire. C’est un titre de gloire éminent pour Chesterton, qui n’a d’autre projet culturel que de pourfendre les « élites » établies en littérature. Ainsi publie-t-il, en 1901, un opuscule intitulé Le Défenseur, véritable manifeste du contre-courant, et dont le sommaire en dit long :
« “Défense des bergères de porcelaine“, “défense de l’humilité”, “défense des romans terrifiants”, “défense de la laideur”, “défense de la farce”, etc. Chacun des textes composant l’ouvrage exprime avec autant de malice que de conviction une attitude rebelle face à la pensée commune et, surtout, aux préjugés culturels dont Chesterton entend bien nous faire toucher du doigt la vanité profonde ».
Son plaidoyer pour les romans policiers est particulièrement étoffé et vaut encore aujourd’hui. Dénigrement pour lui de la « classe possédante » contre les « humbles ». Cette attitude de Chesterton deviendra chez lui une véritable conception du monde : les riches contre les pauvres. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Rien à voir avec quelque conception marxiste ou socialiste. Chesterton va curieusement associer sa « lutte des classes » à un refus du progrès en général, une véritable « religion du passé ».
Et à propos de religion, le « Divin » rejette l’athéisme à la mode :
« Ce que nous redoutons le plus, c’est un labyrinthe qui n’aurait pas de centre. C’est la raison pour laquelle l’athéisme n’est rien d’autre qu’un cauchemar ».
François Rivière a réussi là, la biographie parfaite, celle qui, en nous menant sur les sentes d’une vie bouillonnante, jette des ponts permanents vers une œuvre d’une grande richesse et qui reste, largement, à découvrir.
Léon-Marc Levy
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