Le Diable, tout le temps, Donald Ray Pollock
Le Diable, tout le temps (The Devil All The Time), 1er mars 2012, traduit de l’américain par Christophe Mercier, 376 p., 22 €
Ecrivain(s): Donald Ray Pollock Edition: Albin MichelLe Diable, tout le temps est un livre « White Trash ». Terme qui désigne les laissés pour compte blancs des Etats-Unis, vivant dans des endroits miteux et qui essayent de joindre les deux bouts comme ils peuvent. Petits boulots, combines. Le cadre est sale et hostile, on boit, on se drogue, on se lave peu, très peu. Souvent, le seul moyen de s’arracher à sa condition est la violence.
Violent le livre l’est, assurément, et cette violence est d’autant plus palpable qu’elle est rendue par le style sec de l’auteur. Donald Ray Pollock ne se livre pas à de grandes envolées lyriques, de métaphores, de descriptions paysagères à la manière de Cormac McCarthy dont l’univers pourrait être proche (on pense à certains de ses livres comme Suttree ou Un enfant du bon dieu). Le ton est direct, froid, presque clinique. La phrase n’est jamais longue, ne s’envole pas, mais c’est pour mieux prendre à la gorge et ne plus resserrer son étreinte.
De la fin de la seconde guerre mondiale aux années 60, Le Diable, tout le temps met en scène plusieurs personnages, de l’Ohio à la Virginie Occidentale. Il y a Willard Russel, vétéran de l’enfer du Pacifique qui revient du pays hanté par des visions d’horreur. Son fils, Arvin, désemparé par le comportement de son père quand sa mère tombe malade. Carl et Sandy, un couple qui écume les routes à la recherche d’auto-stoppeurs qu’ils tueront après de sordides séances photos.
Il y aussi un étrange couple de prédicateurs, Roy et son acolyte en chaise roulante, Théodore, qui espèrent trouver comment ressusciter les morts. Mais aussi un shérif bedonnant et magouilleur ou bien un pasteur amateur de la chair de très jeunes filles.
Aucun n’est là pour rattraper l’autre. Tous sont des crapules, à des degrés divers. Des pauvres gens. Des abrutis. Des détraqués. Des illuminés. Et pourtant Donald Ray Pollock parvient à les rendre attachants, à provoquer une réelle empathie, comme si les pires horreurs qu’ils pouvaient commettre étaient (plus ou moins) excusables.
Certains d’entre eux se réclament de Dieu. Ils disent agir en son nom et c’est en son nom qu’ils vont être amenés à commettre les pires atrocités. Mais alors, sont-ce vraiment des atrocités si c’est Dieu lui-même qui a sollicité ces agissements ?
C’est presque à une chronique que se livre Donald Ray Pollock. Chronique dans le sens où il observe ses personnages, il les laisse vivre dans leur quotidien, leurs habitudes, et rend compte d’épisodes de leur vie qui n’ont parfois que le caractère de l’anecdote. Ici, il n’y a pas d’accumulation de péripéties, de coups de forces scénaristiques, même si l’on sait qu’au fil des pages, chacun se rapproche peu à peu de son destin. Mais le lecteur, lui, est pris dans la toile.
On risque de garder longtemps en mémoire certaines scènes du roman. Pour que Dieu sauve sa femme victime d’un cancer, Willard oblige son fils, Arvin, à prier. Mais ce n’est pas une simple prière dans sa chambre. Il a en effet installé une sorte d’autel dans la forêt voisine de leur maison. Les deux hommes s’agenouillent et implorent le Seigneur en hurlant, jusqu’à ce que leurs voix n’en peuvent plus. Tous les voisins en profitent jusqu’au milieu de la nuit. Et tout autour, le sang coule. Willard a attrapé des animaux dans la forêt, en a ramassé d’autres sur la route, fauchés par des voitures et les a suspendus aux arbres autour de son autel, et les a éventrés. Un sacrifice pour que Dieu épargne sa femme.
Yann Suty
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