Le dernier Lapon, Olivier Truc
Le dernier Lapon. septembre 2012. 453 p. 22 €
Ecrivain(s): Olivier Truc Edition: MétailiéPour le moins, on peut affirmer que ce livre propose au lecteur un dépaysement radical. Imaginez : nous sommes dans la nuit polaire, en Laponie, au cœur du pays des éleveurs de rennes, par des températures oscillant entre -20 et -30 degrés ! On est plus exactement au moment où le jour va faire sa réapparition, très attendue on l’imagine par les populations locales. Mais cette renaissance se fait chichement, par petites minutes quotidiennes de clarté.
C’est dans ce cadre hostile et fascinant qu’Olivier Truc situe son histoire policière. Car c’est bien d’un roman noir qu’il s’agit. Deux événements en sont à l’origine : la disparition dans un musée local d’un ancien tambour Sami (peuplade indigène de Laponie, Suède du nord) et l’assassinat d’un gardien de rennes, Mattis, également Sami. Dans une Suède du septentrion, encore sujette au mépris raciste de ses populations originelles – il existe même une sorte de parti d’extrême-droite raciste appelé « parti de progrès » - la question se pose d’entrée : forfaits raciaux ?
Deux policiers (un homme et une femme) mènent l’enquête. Lui, c’est Klemet, un indigène sami justement. Elle, c’est une jeune femme, policière de fraîche date, Nina. Ils forment un tandem attachant et sympathique. Klemet, vieillissant, désabusé par une vie médiocre, bougon mais au coeur d’or. Nina, jolie, intelligente et d’un sérieux à toute épreuve.
Le premier chapitre nous met déjà la puce à l’oreille.
« 1693. Laponie centrale. »
Si Olivier Truc commence son livre par un flashback qui nous plonge au cœur de la tradition indigène, c’est que c’est là le sujet central de son roman, au-delà du « polar » nordique. Le vrai propos c’est le choc de deux civilisations, de deux époques. Comment un pays moderne peut-il vraiment intégrer des cultures ancestrales ou, plus justement, comment des descendants d’indigènes peuvent-ils garder la mémoire ancestrale tout en s’intégrant à la modernité ?
« Puis la voix se tut. Le silence s’imposa. Le jeune Lapon aussi restait silencieux. Il avait fait demi-tour, voguant la tête pleine des râlements du mourant. Son sang avait été tellement glacé qu’il avait été saisi d’une évidence. Il savait ce qu’il devait faire. Et ce que, après lui, son fils devait faire. Et le fils de son fils. »
Et c’est bien les descendants que l’on retrouve dans l’énigme qui se noue ici. Parmi eux une figure dominante, forte, Aslak, Sami qui refuse toute intégration et vit dans les bois glacés avec ses rennes et sa femme à moitié folle. Tout le sens de sa vie est la conservation de la mémoire sami, mais dans une sorte de volonté désespérée, sans avenir.
« Le renne était un bon animal si l’on savait en prendre soin. Il nourrissait, habillait. Les plus habiles savaient transformer ses bois en étuis ou en manches de couteau, en bijoux. Aslak aussi savait. Il savait aussi manier l’argent, le métal noble des nomades lapons, ce métal que l’on se transmettait de génération en génération, de transhumance en transhumance. Il savait tout cela, et il savait qu’après lui tout serait perdu. »
Olivier Truc nous immerge dans cet univers glacé et glaçant avec un vrai talent de conteur, porté par un style fluide, élégant. On se laisse porter dans ces étendues froides, ces aurores boréales, ces tempêtes de neige, ces violences humaines qui viennent s’ajouter à la violence sauvage de la nature polaire.
Le dernier Lapon est un voyage initiatique au cœur du grand nord scandinave, un pays qu’Olivier Truc, documentariste spécialisé dans les pays nordiques, connaît particulièrement bien et dont il nous fait partager ici l’immense beauté, l’immense dureté, l’immense obscurité.
« Lundi 13 janvier. Lever du soleil 10 h 41 ; Coucher du soleil : 12 h 15. 1 h 34 d’ensoleillement. 9 h Kautokeino. »
Léon-Marc Levy
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