Le dernier hiver du Cid, Jérôme Garcin (par Philippe Leuckx)
Ecrivain(s): Jérôme Garcin Edition: Gallimard
D’août à novembre 1959, les derniers mois de vie d’un acteur adulé par sa génération : Gérard Philipe. Il avait tous les talents, la beauté, les atouts de la jeunesse, ceux flamboyants du théâtre, ceux plus populaires du cinéma. Entre 1947 et 1959, il fut sans doute l’un des plus grands comédiens français.
Jérôme Garcin, son beau-fils, relate les ultimes séquences d’une vie menée tambour battant, entre les studios de Boulogne et les théâtres parisiens, le Festival d’Avignon et la troupe du TNP de Jean Vilar. Cet amoureux de la vie familiale, discrète, passée à Ramatuelle ou rue de Tournon, épousa en 1951 Nicole Navaux, dite Fourcade, devenue Anne Philipe en littérature, Belge. Ils eurent deux enfants, Anne-Marie et Olivier.
Les dernières années ont été riches en créations diverses (que de films : La meilleure part ; Pot Bouille ; Montparnasse 19 ; Le joueur ; Les liaisons dangereuses…), et l’acteur est plein de projets quand la maladie s’insinue dans le parcours de ce comédien boulimique d’expériences. Et l’hôpital. Et l’inquiétude. Et les doutes.
Le talent de Garcin est de reconstituer avec acuité ces derniers mois, les visites des amis de toujours (le couple René Clair, Georges Perros), les projets, les attentions des enfants et d’Anne qui sait l’inéluctable de son cher Gérard et ne peut l’affranchir, les bruissements des échos de l’époque et les angoisses du monde de l’hôpital.
Féru du monde antique, des tragédies, des découvertes à faire, Gérard, en dépit de la fatigue, s’invente toutes sortes de projets, pointe les réalisations à venir (un film sur Le Comte de Monte Cristo avec Autant-Lara), annote nombre de publications, se voit déjà en Hamlet, se propulse malgré les freins qu’il sent au corps.
Le lecteur, d’emblée, est dans la chambre du comédien, amaigri, faible, méconnaissable pour ses proches ; d’emblée, il est au cœur de sa maladie, de son courage et de son attente.
Sans pathos, suivant la stricte ligne chronologique, Garcin rameute les plus belles images d’un comédien gâté par la nature, le talent, la beauté, la pureté, l’humanité.
Les hommages de la foule anonyme, rue de Tournon, ceux des vedettes d’alors, le départ pour Ramatuelle où il sera enterré, les pensées de son maître de toujours au Conservatoire, Georges Le Roy, closent un livre où l’émotion vraie court les pages. Le Temps d’un soupir : ce fut vraiment le périple inouï d’un acteur gagné par le génie mais bref comme un souffle de théâtre sur une vie bien remplie.
Un livre lumineux et tendre.
Philippe Leuckx
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