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Le cri de l’oiseau de pluie, Nadeem Aslam

Ecrit par Victoire NGuyen 07.07.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Asie, Roman, Seuil

Le cri de l’oiseau de pluie, février 2015, trad. de l’Anglais (Pakistan) par Claude et Jean Demanuelli, 282 pages, 21 €

Ecrivain(s): Nadeem Aslam Edition: Seuil

Le cri de l’oiseau de pluie, Nadeem Aslam

 

Chronique d’une vie ordinaire

A l’ouverture du roman, il est mercredi et le maulana Hafeez, l’imam d’une des deux mosquées d’une petite bourgade du Pakistan, rentre chez lui après la fin des premières prières. Sa femme l’attend car la journée est spéciale :

« J’ai entendu le chant de papiha, dit-elle. Ça doit être la mousson.

– Il chante depuis l’aube », confirma le mollah en hochant la tête.

Or la présence de cet oiseau au nom étrange est annonciatrice de pluie. La mousson arrive donc. Mais à y réfléchir de près, l’animal est aussi porteur de mauvaises nouvelles : d’abord celle de la mort du puissant juge Anwar et ensuite celle de l’apparition de lettres non distribuées depuis 19 ans après l’accident du chemin de fer.

« On vient juste de retrouver trois sacs de courrier perdus dans un accident de chemin de fer, y a dix-neuf ans de ça, expliqua le vieil homme. Ceux des deux villes voisines ont déjà été distribués. Ça sera bientôt notre tour ».

Ces événements qui semblent être anodins et faisant partie de la vie se révèlent être dévastateurs dans l’existence apparemment tranquille de cette bourgade. Les passions se déchaînent. La violence ne connaît plus de limite et le maulana Hafeez tente de maintenir en vain la paix déjà fragile.

Le cri de l’oiseau de pluie est le premier roman de notre auteur et il témoigne déjà du talent de l’écrivain. Sa subtilité est manifeste. En effet, il y a une volonté chez Nadeem Aslam de ne pas confondre le combat politique et l’écriture littéraire. Certes, il dénonce les méfaits de la dictature du général Zia durant les dix années de son mandat le plaçant à la tête de l’Etat pakistanais. Le roman évoque sa mort dans un accident d’avion en 1988. Cependant, cet événement est considéré comme un des éléments déclencheurs de la crise et de la radicalisation de la bourgade. La finesse de Nadeem Aslam est de peindre par petites touches une chronique du quotidien des gens simples pris dans la tornade de la corruption, des pots de vin et le fanatisme incarné par l’imam Dawood, le rival et l’adversaire du maulana Hafeez.

Aux lecteurs amateurs de roman policier, Le cri de l’oiseau de pluie n’est pas un roman d’investigation. Prétextant d’un crime et de sa « résolution », l’auteur prend la main du lecteur pour le faire pénétrer dans l’univers clos des maisons où pleurs, tristesse, deuil, violence, candeur et hommes de paix cohabitent jusqu’à la rupture finale. Le roman s’ouvre sur un mercredi pluvieux où le meurtre est déjà consommé pour s’achever un samedi après le lynchage d’Alice, une chrétienne accusée de concubinage avec un musulman marié et père de famille.

Si le monde dépeint par Nadeem Aslam est souvent placé dans un équilibre fragile et intenable, dans celui-ci, la fin renvoie à l’échec des hommes de bonne foi comme le maulana Hafeez ou le commissaire Azhar. Le chaos prend possession des esprits et plonge la bourgade dans l’obscurité et le Mal.

L’agression d’Alice, considérée comme une femme dévoyée, reniée par la société et par son propre père, a eu lieu le vendredi. C’est une date symbolique dans le mode chrétien : Alice serait la nouvelle Madeleine. Comme le Christ, elle subit son calvaire car c’est un bouc émissaire, une victime expiatoire pour ce village sous l’emprise de Dawood, imam fanatique et du propriétaire terrien et politicien corrompu Mujeeb Ali. Ce dernier alimente les peurs et exacerbe les passions pour asseoir sa puissance. A demi mot, Nadeem Aslam le montre comme un rejeton du régime de Zia.

Il est sans conteste que nous ne sortons pas indemne de la lecture de ce roman tant son écriture est énergique. Le tandem Claude et Jean Demanueli a su traduire avec fidélité la prose si personnelle de Nadeem Aslam. Il n’y a pas de doute, ceci est un premier roman de haute facture. Nadeem Aslam l’a confirmé par la suite en nous offrant les œuvres telles que La vaine attente ou Le jardin de l’aveugle.

« Comment salue-t-on un chrétien, Maulana-ji ? Est-ce qu’on peut dire salam-a-salam, ou cet usage est-il réservé aux seuls musulmans ? »

A présent totalement enveloppé de nuages, le soleil avait fait une timide sortie une heure plus tôt. Des milans et des buses tournoyaient et montaient au ciel.

Le Maulana Hafeez se tourna à demi vers sa femme. Non loin de là, un papiha fit entendre son cri. L’imam rassembla ses dernières forces et tenta de réfléchir à la question ».

 

Victoire Nguyen


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A propos de l'écrivain

Nadeem Aslam

 

Nadeem Aslam est né au Pakistan en 1966. Il s’est installé avec sa famille en Angleterre en 1980 pour fuir le régime de dictature du général Zia. Il a écrit des récits célèbres tels que La cité des amants perdus (2006), La vaine attente (2009) et Le jardin de l’aveugle (2013). Le cri de l’oiseau de pluie est son dernier roman. Nadeem Aslam vit aujourd’hui entre l’Angleterre et le Pakistan.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.