Le coursier de Valenciennes, Clélia Anfray
Le coursier de Valenciennes, août 2012, 148 p. 14,90 €
Ecrivain(s): Clélia Anfray Edition: Gallimard
C’est une histoire originale que cette courte tranche de vie de Simon, juif rescapé des camps nazis, qui, six ans après la guerre, quitte l’Auvergne et traverse une partie de la France pour « monter » à Valenciennes remplir une mission qu’il considère comme sacrée : retrouver la famille de Pierre, un camarade mort en déportation, pour lui remettre un paquet au contenu mystérieux que lui a confié son ami avant d’être envoyé à l’abattoir d’Auschwitz.
Il est accueilli dans une maison bourgeoise de l’Athènes du Nord par Suzanne et par Renée, la belle-sœur et la fille de Pierre, et fait la connaissance, le lendemain, dans un autre quartier valenciennois, du fils de son compagnon de déportation.
L’une des marques fortes de ce roman est l’omniprésence de la ville wallonne, imposée par la grande précision de la description et l’usage systématique de la toponymie réelle pour situer les lieux où se succèdent les événements qui marquent son séjour, à Valenciennes intra muros d’abord puis de Valenciennes à la frontière belge. Tout Valenciennois y sera chez soi et ressentira vivement les sensations qu’éprouve le personnage, y adhérera, s’en amusera, ou s’en offusquera.
Clélia Anfray a eu la bonne idée d’exprimer l’impression d’oppression que ressent le messager venu d’Auvergne, et de renforcer cette atmosphère brumeuse, sombre et lourde, par la superposition de couches descriptives fonctionnant comme des poupées russes :
Le ciel du nord (on pense irrésistiblement à Brel, à Verhaeren…) est un « édredon opiniâtrement accroché aux toits ».
Valenciennes est « ce trou abîmé par les troupes françaises et allemandes » où « le noir de carbone s’infiltrait partout dans les fissures et dans les fondrières »…
« On aurait dit que Valenciennes, elle, n’avait pas choisi ses couleurs. Qu’elle portait une pèlerine poussiéreuse, épaisse et lourde comme un âne mort. Qu’elle suffoquait au milieu des terrils… »
A l’hôpital du Hainaut « le dispensaire… avait quelque chose d’intimidant, de solennel ».
Une sculpture célèbre de Carpeaux, la Tour de la Faim, est vue comme « une statue colossale et écrasante ».
Dans l’appartement de la famille de Pierre, où « Les chaises paillées de la cuisine étaient assez basses» et où « Simon avait la désagréable impression d’être aussi rabougri qu’un enfant… » l’air est tout autant pesant : « Le repas s’étira au rythme d’une conversation sans entrain »… et Simon craint de se faire prendre au cœur par la femme qui l’y accueille : « ses yeux s’abattirent brutalement sur lui ».
Même le tramway, malgré sa mobilité, est un espace clos, un microcosme où on fait connaissance, où on converse, où on partage le briquet, où on s’endort : « [Etienne] sortit un morceau de pain, du fromage, et sans même demander, en fit trois parts à peu près égales qu’il tendit aux voyageurs ».
Il y a bien de temps en temps une éclaircie dans la morosité : « Valenciennes, sous l’effet de la parole de Mme Viéville, avait repris des couleurs. […] Son austérité grise s’était dissipée… »
Mais l’ambiance générale est d’une étouffante tristesse.
Cette suggestion d’un enfermement permanent fait écho à l’univers concentrationnaire du camp dont la réalité est révélée au lecteur en de courts épisodes discontinus, les uns puisés par le narrateur dans les souvenirs de Simon, les autres racontés directement par le visiteur à ses interlocuteurs, en une sorte de broderie macabre s’entremêlant à la narration de l’intrigue qui se noue durant le séjour à Valenciennes, dont le déroulement, par sa construction et ses éléments, amène le lecteur à entrevoir, puis à espérer le dénouement dramatiquement cathartique.
Ce roman serait tout à fait transposable au cinéma…
Patryck Froissart
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