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Le Corps noir du soleil, Amina Saïd

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 20.06.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Rhubarbe

Le Corps noir du soleil, décembre 2014, (calligraphie Hassan Massoudy), 90 pages, 11 €

Ecrivain(s): Amina Saïd Edition: Rhubarbe

Le Corps noir du soleil, Amina Saïd

 

La vie d’Alexandre Le Grand a été si exceptionnelle qu’elle fait partie des mythes de l’Antiquité. Convaincu très jeune par sa mère qu’il était descendant des Dieux, il accomplira un parcours de conquérant unique, allant de conquêtes en conquêtes de la Grèce aux Indes. Dans ce très beau recueil, intitulé Le Corps noir du soleil, Amina Saïd nous fait revivre l’épopée d’Alexandre Le Grand, alors que celui-ci s’apprête à partir pour l’autre monde (étroite sera la tombe quand j’y serai enseveli), se rejoue alors sous nos yeux le voyage de sa vie, son parcours semé d’épreuves. La poète s’exprimant en je nous entraîne dans l’aventure et nous arpentons avec ce cavalier les innombrables paysages aux couleurs sublimées par la variété d’une nature luxuriante propre à ces pays de sable et d’ocre. Récit d’un passage de l’ombre à la lumière, mais aussi récit onirique, récit de la naissance, récit sans fin, comme le désir, le silence ou la mort, mais surtout quête initiatique afin d’aller à la rencontre de soi ou de l’autre en soi, comme pour donner un sens à l’absurde du monde, nous dit-il, en quête d’absolu donc. Cette épopée historique aux intonations lyriques de l’aventure humaine nous rappelle que la vie est brève comme une manière de rêve. Dans l’ignorance du parcours pour accéder à la lumière, le conquérant avance toujours sans peur.

Adoré des rois pour ses multiples qualités et son ambition démesurée, gardien d’une authentique fureur de vivre portant par toute la terre toutes les couleurs du monde, monté à la tête d’une armée d’hommes prêts à donner leur vie, il a parcouru tous les paysages lumineux que la terre a portés : où ciels et sables se mêlent et se fondent. Dans une grande richesse de vocabulaire et de couleurs, au milieu du vert émeraude des oasis et des jardins, l’exotisme des lieux est sans fin, il délivre de fantasmagoriques cadres comme ces chaînes de montagnes aux crêtes en dents de dragon, dans une traversée de la vie, symbole du voyage de ces aventuriers de la lumière. Redevable à ses maîtres, il avance solitaire parmi les hommes, exilé, mais accomplit son destin aux côtés des milliers de fantassins, archers ou porteurs de sarisses, cavalerie aux boucliers de bronze, aux casques d’airains, aux épées, haches, chariots, machines de guerre qui n’en finissent pas de dévaler les montagnes à la conquête de l’empire.

Franchissant déserts et montagnes, rivières et vallées, plaines propices aux fièvres, de victoires en victoires, de massacres en massacres, le téméraire ne craint ni la guerre ni les épreuves, ni les résistances ni les pertes. De Carthage à Gaza, jusqu’à Babylone ultime escale, les luttes, l’adversité, les routes d’Egypte sont ouvertes, sur le chemin de Babylone. Les prédictions des astrologues, des grands oracles, des prêtres, des sages et des savants sur son chemin le guident, confiants. Les références aux oracles abondent, en particulier, cette lune de sang, éclipse énonçant l’alignement parfait entre soleil lune et terre qui terrifie toujours mais que les astrologues démythifient, énonçant qu’elle est plutôt signe de bons présages pour le héros : ils assurèrent que c’était là présage de perte et de ruine pour les Perses… Les astrologues avertissent mais même quand l’oracle est mauvais, ils ne découragent pas le guerrier.

L’aventure se transforme peu à peu en quête spirituelle, les sages remplacent les astrologues sur sa route. Dans sa quête autour du monde, l’aventurier avance sous le regard d’un homme ailé de lumièrequi lui enjoint de poursuivre sa route et de continuer à explorer la terre :

va jusqu’aux régions où le soleil se couche

te suivront des nuées d’ombre et de lumière, et l’encourage à atteindre un but spirituel qui consacrera son œuvre terrestre.

Mutilations, pertes humaines, rigueurs climatiques, rien n’arrêtera le conquérant, il marche sur Persépolis, accentue sa colère face aux massacres, hommes égorgés, femmes, enfants réduits en esclavage. Sa cruauté même n’est pas de reste lorsqu’il fait fouetter un jeune page qui a porté le premier coup mortel sur le lion qu’il combattait à mains nues au prétexte que la victoire lui revenait en propre. D’avancées en avancées, de conquêtes en conquêtes, de nouvelles terres en nouveaux cieux / se dévoilèrent à nous.

Tout le temps que j’ai pu voir la lumière du soleil

j’ai admiré la beauté du monde

tout est naissance quand avec l’aube

la lumière creuse la lumière

afin que se consument les frayeurs de l’ombre

et qu’entre ciel et terre s’arrime le cœur

immortel de l’horizon

Chacune de ses cicatrices sur son corps est le souvenir d’une victoire, périls de guerre, siège de Gaza. Une fois, on le crut mort, transpercé d’une flèche empoisonnée, il y eut alors un véritable massacre tant la colère fut grande : rien n’est digne d’être possédé en ce monde, tout est vanité, voilà ce que lui rappellera alors un sage qu’il croisera.

Mais « pour qui a compris le sens de la vie

la mort n’a pas d’importance »

Alors qu’il progresse dans son périple victorieux, il apprend la vanité de sa quête, il aborde à sa vérité :j’ai reconnu en toi quelqu’un qui cherche sa vérité, lui dira un sage, quelqu’un qui cherche ne peut pas avoir perdu son âme.

On le prévient, il n’est pas encore arrivé au bout mais pas loin :

tu n’as pas encore dominé tes passions,

ni affiné ta perception du monde extérieur

ni atteint à la source à l’intérieur de toi

Il racontera alors comment il a vu ce sage s’immoler devant lui. Ayant atteint le seuil de sa vérité, délivré de la douleur et du plaisir, il a affronté le feu du bûcher sans broncher. Dans l’île des femmes, il a connu la Reine qu’il a aimée et qui l’a guidé de manière prophétique, il rencontrera aussi d’autres sages qui lui ont dit : la valeur d’un être est à la mesure du bien qu’il fait à autrui.

Et finalement, sur la route de Babylone, l’oracle de l’arbre de la lune lui a délivré un message négatif, oiseaux morts, rites inaccomplis, à mesure qu’il approchait de Babylone, son sort fut scellé…

J’ai voulu étendre mon empire sur le monde

je n’étais que l’instrument du sort

A la question qui suis-je que pourrais-je répondre ?

pauvres sont les hommes sans légende.

Troisième volet d’un ensemble de récits poétiques en vers qui puisent à de multiples, ce recueil d’une quête initiatique d’un autre temps entre en résonance avec notre époque ultra violente par delà le décalage temporel. Remercions l’éditeur de nous proposer le talent d’Amina Saïd grâce à ce petit bijou d’une grande poésie sous l’égide d’Hassan Massoudy qui en a illustré la première de couverture.

Le Corps noir du soleil fait partie de la présélection du Grand Prix SGDL de Poésie pour l’ensemble de l’œuvre.

 

Marie-Josée Desvignes

 


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A propos de l'écrivain

Amina Saïd

 

Amina Saïd est née à Tunis, en Tunisie, et vit à Paris. A notamment publié une douzaine de recueils de poèmes. Prix littéraires : Prix Jean Malrieu (Marseille, 1989), Prix Charles Vildrac (Paris, Société des gens de lettres, 1994), Prix international de poésie Antonio Viccaro (Paris, 2004). Collabore à diverses publications, donne des récitals de ses poèmes, participe à des festivals de poésie, à des colloques et à des rencontres littéraires à travers le monde. Membre de jurys de poésie. A traduit de l’anglais sept œuvres du grand écrivain philippin Francisco Sionil José, dont les cinq volumes de la Saga de Rosales.

 

Bibliographie

 

Poésie :

Le Corps noir du soleil, éditions Rhubarbe, Auxerre, 2014

Les Saisons d’Aden, Al Manar, Neuilly, 2011

De décembre à la mer, La Différence, 2001

Present Tense of the World Poems 2000-2009, traduction et préface de Marilyn Hacker, édition biligue, Black Widow Press, Boston, 2011

L’Absence l’inachevé, La Différence, 2009.

Tombeau pour sept frères , Al Manar, 2008

Au présent du monde, La Différence, Paris, 2006

L’horizon est toujours étranger, CD, Paris, Artalect, 2003

La douleur des seuils, Paris, La Différence, 2002

Gisements de lumière, La Différence, 1998

Marcher sur la terre, La Différence, 1994

L’une et l’autre nuit, Chaillé sous les ormeaux, Le Dé Bleu, 1993, Prix Charles Vildrac

Nul autre lieu, Trois-Rivières, Ecrits des Forges, 1992

Feu d’oiseaux, Marseille, Revue Sud, n°84, Prix Jean Malrieu, 1989

Sables funambules, Paris, Trois-Rivières (Québec), coédition Arcantière-Ecrits des Forges, 1988

Métamorphose de l’île et de la vague, Paris, Arcantère, 1985

Paysages, nuit friable, Vitry sur Seine, Barbare, 1980

 

Contes de Tunisie :

Demi-Coq et compagnie, L’Harmattan, Paris, 1997

Le Secret, Critérion, Paris, 1994

Traductions de l’anglais (Philippines) d’œuvres de F. Sionil José

José Samson, Fayard, Paris, 2007

Les Prétendants, Fayard, Paris, 2005

Le Dieu volé, Critérion/Unesco, 1996, 2004

Viajero, le chant de l’errant, Critérion, 1997, 2004

Mon Frère, mon bourreau, Fayard, Paris, 2003

A l’ombre du balete, Fayard, Paris, 2002

Po-on, Fayard, Paris, 2001

 

A propos du rédacteur

Marie-Josée Desvignes

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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