Le Cœur synthétique, Chloé Delaume (par Patrick Devaux)
Le Cœur synthétique, Chloé Delaume, août 2020, 208 pages, 18 €
Edition: Seuil
Ce roman est pensé assez globalement de façon physique et en réaction sensitive par rapport aux entourages immédiats. S’opère une sorte de décompte du temps avec sablier renversé à décompter les actes parfois manqués, les amours perdus :
« Adelaïde neuf fois a été amoureuse/…/ Philippe, elle déjeunait avec lui chaque lundi jusqu’à ce que sa nouvelle copine le prenne mal. Adelaïde rappelle ce faisant à Judith qu’elle les a tous quittés… ».
La solitude de l’héroïne, Adelaïde, est parsemée de gestes quotidiens et d’intentions à redémarrer :
« Adelaïde se lève et met de la musique. Elle s’est fait une playlist qu’elle a nommée New Life, comme le nouveau Depeche Mode qui y figure en premier ».
Divorce et solitude. La vie s’organise autour d’une psychologie de la gestuelle, la participation au non-évènement dans l’entourage direct. Constat amer d’un type de population qui parfois s’intoxique à « la crise de la quarantaine » :
« Elle assiste depuis peu au déclin de leur pouvoir de séduction, elle ne peut pas le nier. C’est le cas de tout le groupe. Judith a quarante-huit ans, c’en est terminé des interviews obtenues en battant des cils. Bérengère a quarante-neuf ans et se rabat sur les profils d’hommes qui lui plaisent de moins en moins. Clotilde et Adelaïde ont quarante-six ans et sont perçues comme périmées ».
Le sujet de la solitude est parfois traité sérieusement. D’autres auteurs, comme Jacqueline Kelen, avec son livre L’esprit de solitude, l’ont appréhendée de façon exclusivement choisie et positive.
Pour ce qui concerne Chloé Delaume, son approche est diversifiée mais obsessionnelle rendant compte de la séduction par le corps de façon parfois non seulement tragique mais aussi grotesque et humoristique : « Elle calcule combien d’hommes ont caressé son corps au cours de sa vie. Elle arrive à un total de 16. La moyenne des Français, d’après Doctissimo, est de 13,2. Adelaïde se demande quand se poseront des mains sur le bourrelet de ses hanches ».
Le ton général du roman a un côté joyeux, genre « Amélie Poulain » jouée par Audrey Tautou, entre comédie et cynisme dosé, l’héroïne apprenant « la solitude comme l’exilée apprend une langue étrangère ».
Malgré une intense activité, une sorte d’examen autocritique d’une décrépitude convenue par l’âge semble s’installer : « Adelaïde se dit qu’Aphrodite est partie, la déesse de l’amour, mais aussi de la beauté ». Elle se sent tellement abandonnée. Elle ignore quel rituel pourrait la faire revenir.
On navigue entre dépression possible, futur incertain et rappels en tout genre, cryptés d’outils régentés par l’idée de réseaux sociaux peut-être salvateurs où le vocabulaire s’expérimente du verbe « googliser », d’adresse « Google Maps » et autre « Facebook ». Entre fantasme et réalité il n’y a parfois qu’un pas à franchir. Encore faut-il trouver lequel au bon moment. Entre cocasserie et fait de vie quotidienne, on passe de la possibilité d’exister réellement à la tragédie de tous les jours avec des scènes que chaque lecteur peut facilement s’imaginer tant c’est visuel :
« Il est 23h30, elle essaie de dormir. Mais il est bien trop tôt et elle ne comprend rien. Martin éteint. Se tourne vers elle. Puis, sur le ton de la constatation, lui dit « Je t’aime mais je ne te désire pas ».
Le désir et l’âge se trouvent en confrontation directe dans ce roman mené de façon très ressentie.
Patrick Devaux
Chloé Delaume, née Nathalie Dalain à Versailles, en 1973, est une écrivaine française et également éditrice, et de manière plus ponctuelle performeuse, musicienne et chanteuse. Son œuvre littéraire pour l’essentiel autobiographique est centrée sur la pratique de la littérature expérimentale et la problématique de l’autofiction.
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