Le cimetière monumental
A l'entrée d'Iglesias, apparaît l'enceinte, la haute ceinture qui emmure les trépassés. Les cigales stridulent. Est-ce bien le cimitero ? Ou un jardin de sculptures ? La mort est si belle. Le marbre vient de Carrare. La mort est un signe ostentatoire. Dans l'éclat de juillet, des promeneurs suivent les sentes entre les tombes. Les proches fleurissent, entretiennent les architectures post mortem. Une femme se tient immobile devant la tombe de son époux. Elle lui raconte que la vie continue après lui mais que rien ne compte. Elle porte le deuil : voyez, je suis de noir vêtue pour lui, vierge à nouveau sans homme. Il ne reconnaît plus sa voix. Parle-t-elle trop bas ? Elle sait que les morts restent avec nous. Elle s'attendrit en pensant à tous ceux qui sont réunis dans cette ville à l'écart de l'autre ville. Deux photos. Etre à nouveau jeunes mariés. Elle a lu maintes fois l'histoire de Giuseppe rejoint par sa veuve. Leurs enfants les pleurent. Un peu plus loin ; contre le mur de l'enceinte, elle passe souvent devant le jeune Lecca 1903 à l'air canaille des années trente, la main gauche sur la hanche et un chapeau citadin sur la tête, à la conquête de la vie. Elle sourit toujours en pensant aussi à Sergio qui aimait le foot. Il n'a pas eu le temps de se fiancer. A-t-il eu un accident de voiture sur une mauvaise route de montagne ; avait-il une maladie incurable malgré sa vigueur sportive ? Ses parents ont dépensé une petite fortune pour son monument.
Sur une colonne s'élève une statuette en bronze d'un petit joueur de foot, sur le point de shooter dans un ballon immobile. Et une autre colonne, cette fois brisée se révolte contre cette mort prématurée, injuste. Avec le soleil ; Luisa voit l'ombre du personnage sur la pierre tombale qui écrit SERGIO. Il a une gueule d'amour, Sergio, le libero du club de la ville (saison 1976). Quand elle parle à son amore, Luisa n'oublie pas les autres, ceux qui sont ses voisins chimiques et putrides. Le dottore Venturini Spinelli est encore un érudit, un naturalista. Un tronc solide (la matière de sa vie) et un phylactère célèbre les mérites de l'homme de science : éducateur, époux, père exemplaire ; né en Sicile et mort sur une autre île italienne, la Sardaigne. Belle légende dorée.
Luisa a fini de bavarder avec son disparu. Elle le voit encore entrer dans leur chambre ; le crucifix au-dessus du lit matrimonial entend leur plaisir. Le cimetière est aussi la nécropole des mineurs de la région. Un sculpteur funéraire est un artiste hyperréaliste. Echelle 1, l'homme retrousse les manches de sa chemise, il porte de lourds souliers de travail, il se bat avec la veine, la roche. La tâche est harassante même dans la lumière, à la surface du puits. Il peine à soulever la lourde masse, il transpire et replie son bras à la hauteur de son front pour essuyer les perles sa sueur. Luisa s'approche de la sortie, elle fait halte devant la tombe de la chère Rita Ferino, muse d'un marbrier qui aimait Canova. Rita a les cheveux courts bouclés, elle sourit en caressant son petit chien, installé sur ses genoux. « Pupino, Pupino, reste tranquille, voyons » Luisa a le vertige. Tous les grands hommes d'Iglesias se toisent, se méfient : barbes sénatoriales, lavallières élégantes, titres honorifiques. Stylites vaniteux et silencieux. Les soldats italiens tombés au combat en 1916 ont leur quartier. Les petits drapeaux tricolores colorisent leurs photos en noir et blanc. Des visages humains à droite, à gauche. Ils finissent par tous se ressembler et ils ne vieillissent plus. Des femmes pleureuses agenouillées devant les tombes sont des statues comme la vivante Luisa. Tendre vers lui les bras, le toucher à nouveau, cacher son regard en pleurs. Jusqu'à demain, seulement, jusqu'à demain Luisa. Dehors les voitures s'arrêtent au feu rouge. Seulement jusqu'à demain Luisa. Dehors les voitures s'arrêtent au feu rouge.
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