Le Ciel vous tienne en joie, Philippe Meyer
Le Ciel vous tienne en joie, octobre 2013, 272 pages, 20 €
Ecrivain(s): Philippe Meyer Edition: Editions de Fallois
Le dernier livre de Philippe Meyer réunit ses fameuses « Chroniques du toutologue » diffusées tous les jours sur France Culture.
Toutologue ? Peut-être. Mais toutomane d’abord, tant il est difficile d’embrasser d’un même regard les mille-et-une activités de cet inlassable touche-à-tout à l’élégance savamment britannique. On le connaît homme de radio bien sûr, distillant de cette voix ample, posée, grave et espiègle qu’on identifierait entre mille, les facétieuses minutes de son dandysme érudit. On s’en souvient peut-être homme de télévision, quand il taillait leur portrait comme d’autres font ses costumes à tel ou tel invité de L’Heure de vérité ou encore quand, c’était au siècle dernier, M6, la chaîne de toutes les musiques dixit, ne rechignait pas encore à programmer une ou autre émission musicale digne de ce nom – Rihanna, il est vrai, n’était pas encore née.
On l’a vu sur les planches, metteur en scène de ses propres textes, ou dans des séries télé, donnant la réplique au Commissaire Maigret, ou encore coudoyant François Bayrou pour telle élection parisienne, rôle qui lui valut d’ailleurs de jolies diatribes à gauche. On l’a suivi des bancs de l’Université de Nanterre, où il étudia la sociologie entre deux grèves, à ceux de Sciences Po, où il enseigna celle des médias. On le sait friand de chansons, celles du grand répertoire populaire français, et sacrément fine gueule, capable d’un seul coup de fourchette de différencier une andouillette AAAAA d’un vulgaire boyau premier choix.
C’est donc en toutomane averti que Philippe Meyer se fait toutologue. On dirait Pierre Desproges croisant Roland Barthes sous les yeux d’Alexandre Vialatte. Car tout y passe en effet, en un réjouissant florilège de thèmes dont la variété et la surprise ne sont pas pour rien au plaisir de la lecture : jeu de sacre (Jacques Bonsergent, Jean-Roger Caussimon, Olympe de Gouges…) ou de massacre (Fidel Castro, Amazon…), anecdotes triviales ou événements de première importance (les feux verts du taxi londonien sous les bombes nazies, la frénésie des concours, la censure de l’expo Cranach à Abu-Dhabi, la prétendue redécouverte du « Kale » que tout le monde connaît sous le nom de « chou frisé »…), réjouissantes démonstrations par l’absurde (lire Température exacte de l’enfer…), constat effaré de ce « retournement du langage » dont parle Annie Le Brun, et qu’avait déjà, à sa manière, diagnostiqué Orwell sous le nom de « novlangue » (les « hôtesses de caisses », les « frappes chirurgicales », la prolifération des anglicismes…)…
Ce sont autant d’expresso d’intelligence et d’humour, à déguster parfois un peu facilement frappés au coin du bon sens. Et l’ensemble, écrit avec une truculence héroï-comique, distille aussi quelques jolies perles.
Morceaux choisis :
« Le normalien se nourrit de livres et de concepts et vit dans les bibliothèques où il ne se reproduit que rarement, et plutôt par scissiparité et où il attrape le trotskisme, le maoïsme et autres maladies infantiles ».
« Etant comme tout le monde, j’ai le même rêve secret que la plupart de nos contemporains : je voudrais être une victime ».
« Si la honte se mangeait en salade, M. Emmanuelli, député des Landes, pourrait ouvrir un restaurant ».
« Il n’y a rien de tel que de prononcer un peu d’allemand pour se sentir tout à fait réveillé ».
Ne manque alors plus que cette voix, la sienne, pour que le ciel en effet nous tienne un joli moment en joie. Mais le temps de ce livre, ce ne serait déjà pas si mal.
Frédéric Aribit
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