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Le ciel de Lisbonne, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 17.08.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Le ciel de Lisbonne, par Kamel Daoud

 

Le ciel de Lisbonne est la mer ininterrompue. Vaste avec ses avions et ses plages. L’air est chaud sur les murs ouverts vers le fleuve Tage. Le corps est un banc public, assis face à une perspective de verdures et d’arbres qui ont la généalogie de l’humanité entière, tellement ils sont hauts. Le monde est beau, une œuvre d’art juchée sur la pointe d’une épingle. Puis, soudain, le bruit de vaisselle cassée dans la tête : l’actualité algérienne. Laquelle ? Celle de ce rat qu’on a fait parler dans une radio et qui a appelé à ma mort, encore, et à l’ouverture d’une ambassade de Daech, ici, chez nous.

Le pire n’est pas le rat cependant, mais la peste, la lâcheté. Car l’idée, la tentation était d’écrire une chronique avec un insultant. Contre ceux qui laissent faire ce rat, le laissent parler et dire. Car, si l’on se souvient bien, on a fermé une TV l’année dernière parce qu’elle a osé le crime de lèse-majesté contre Bouteflika, on a menacé une autre pour une émission satirique insolente, on a viré des journalistes du service public pour délit d’insoumission, on a exilé Abdellah Benaouda aux USA pour avoir demandé, dans une TV proche du Cercle, des chiffres sur le chèque « We are the world » version 4ème mandat, mais ici, on ne dit rien ou si peu ou pas avec la même vigueur ni avec la même sévérité.


Un rat barbu islamiste demande l’ouverture d’une ambassade de Daech, exige l’application de la peine de mort sur un chroniqueur et pérore avec un sourire de vainqueur minable dans les journaux et les TV sans que personne ne bouge pour le moment. Ni ministères, ni autorité de « Régulation », ni Justice. On dépose plainte contre lui, et la plainte est utilisée comme papier toilette. Donc, pourquoi avoir ouvert des camps à Oued Namouss ? Pourquoi avoir fait une guerre entière ? Torturé ? Fait « disparaître » ? Payé et résisté pour en arriver à permettre à un danseur du ventre de jouer au Guide de la nation, insulter une République ? Pourquoi avoir dissous le FIS si c’est pour s’y dissoudre au final ? Pourquoi avoir employé un Ouyahia pour recruter des patriotes et en arriver à baisser les yeux et le pantalon devant le kamis de cet insolant. Pourquoi avoir rameuté le monde sur le drame algérien pour finir par se soumettre à ce Khomeiny en solde ?

Minable attitude que retiendra l’histoire : un régime qui ne bande les muscles que devant les désarmés qui n’ont pas pris les armes contre lui et ne recule, la paupière baissée, que devant les islamistes. République de clowns, entre celui (Le Amar Ghoul) qui vous lance « Aami Salah » en parlant du Général et de ses matchs avec Toufik pour se donner de la consistance dans le jeu de harem et de secondes épouses, et celui qui ose se faire passer pour un martyr de la République, en se comparant aux gens qu’il a poussés dans le dos à mourir durant les années 90, avant de recevoir un Emir et lui offrir du thé avec le sourire. Niveau plastique de la République.

Jusqu’à quand va durer l’impunité des islamistes ? Leurs passe-droits sur le dos du droit ? Jusqu’à quand un rat salafiste peut demander une ambassade de Daech chez nous, passer dans une radio et des TV « autorisées » et dangereuses pour notre pays sans que la justice n’intervienne, la République ou les ministres concernés ? Si ce rat s’agite avec impudence, c’est surtout parce qu’il sent d’instinct que la maison est sans maître.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015