Le chien, le lapin et la moto, Kate Hoefler, Sarah Jacoby (par Yasmina Mahdi)
Le chien, le lapin et la moto, Kate Hoefler, Sarah Jacoby, éditions des Éléphants, février 2021, trad. Ilona Meyer, 48 pages, 14 €
Road movie
C’est à quatre mains que cet album-jeunesse inédit a été conçu. Kate Hoefler, diplômée d’un Master de poésie à l’Université du Michigan et qui vit dans l’Ohio, et Sarah Jacoby, autrice et illustratrice, qui collabore au New York Times et vit à Philadelphie, ont confectionné ce précieux livre cartonné, au format de 28 x 23 cm, qui porte un titre intrigant : Le chien, le lapin et la moto. Sur la couverture, l’on y voit un chien fou et son passager lapin agrippé à son dos tracer la route à travers champs. Un grand arc-en-ciel bleu, jaune orange, mauve et rose s’élève de derrière le véhicule à deux roues, comme si la moto était magique, pot d’échappement-pinceau dévidant de la couleur.
En ouvrant le bloc des pages de garde, l’on pénètre dans un champ de blé mûr, à perte de vue, comme si l’on dormait à même le sol, champ qui deviendra printanier, vert tendre. C’est donc dans la vie de Lapin que nous entrons. Ici, le léporide est libre, possède de longues oreilles sensibles et une ouïe fine. Il est sans doute américain, du genre Sylvigalus. Lapin est anthropomorphisé, comme celui de John Tenniel des Aventures d’Alice, dont il est plus proche en comparaison de Bugs Bunny ou de Roger Rabbit…
Dans l’album, Lapin est fermier, vêtu d’une salopette bleue en jean et habite une fermette aux abords d’une grande artère. Chien, le deuxième personnage, est affublé d’un blouson de motard, car grand voyageur – un routard. Même la moto est douée de vie et possède ainsi des usages multiples. Elle parle tout comme les animaux !
Le texte reprend la forme du conte, de la fable enchantée. Quelques phrases brèves agrémentent chaque représentation, composées de mots simples, poétisés, concis, polysémiques. Le mot « mort » n’est pas prononcé et la disparition de Chien est suggérée. L’univers de Lapin est campagnard, et l’amitié qu’il a nouée avec Chien va le pousser à prendre des initiatives. Le récit de Kate Hoefler se joint aux images produites par Sarah Jacoby en format paysage. L’action est séquencée, produisant une dynamique, un mouvement en plusieurs temps, ce qui n’est pas sans rappeler la zoopraxographie d’Edweard Muybridge et ses célèbres décompositions photographiques. L’énoncé du récit signale la solitude, l’amitié perdue puis retrouvée.
Chien a belle allure, casqué, botté, un berger de Brie à fourrure grise et bacchantes ; Lapin, lui, est plus timide mais plus vigilant. Les gouaches, les acryliques de Sarah Jacoby sont rehaussées de pigments noirs, certaines parties colorées sont diluées, parfois mises en scène dans des espaces blancs bien aérés. La technique est mixte, avec ajouts de dessin et de crayons de couleur. L’illustratrice manie avec talent les effets de flouté, en légère estompe, par exemple pour simuler la vitesse, le souffle du vent et les déplacements des personnages. Ainsi, le tout jeune public, en découvrant cette épopée charmante, admirera le rendu de l’immensité des paysages, de leur variété, et partira en voyage avec Lapin.
Le chien, le lapin et la moto est une histoire très contemporaine : un biker plein d’expérience va initier un sédentaire frileux à se décider à partir à l’aventure sans se rendre dans des endroits précis, mais uniquement pour le goût de la balade, le plaisir de rouler et de s’évader. Ce road-movie fraternel et exemplaire parle d’affranchissement et de transmission, de deuil également.
Ce livre jeunesse peut s’aborder dès l’âge de 4 ans.
Yasmina Mahdi
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