Le Cheval en Feu, Anuradha Roy (par Guy Donikian)
Le Cheval en Feu, Anuradha Roy, Actes Sud, novembre 2023, trad. anglais (Inde), Myriam Bellehigue, 271 pages, 22,50 €
Edition: Actes Sud« Il était une fois, il y a fort longtemps, un potier, qui était tombé amoureux d’une femme. Ils vivaient dans le même quartier, il la croisait tous les jours, mais il ne pouvait aller la trouver pour lui dire ce qu’il ressentait. Cet homme et cette femme appartenaient à deux tribus qui se détestaient. Il savait bien que jamais ils ne pourraient vivre ensemble. Une nuit, un cheval de terre cuite le visita en songe : ses naseaux crachaient du feu, il avait des yeux de braise et il s’adressa à lui si clairement que le potier comprit chacun de ses mots. S’il apprenait à chevaucher ce cheval de feu sur la terre et sous l’eau, la femme serait à lui. Il se réveilla avec la certitude que ce cheval devait voir le jour et que c’était à lui de le créer ».
Nous sommes en Inde, le potier se nomme Elango. Il a dans les mains un savoir-faire hérité de ses ancêtres, il ne cède en rien aux modes du moment, ce qui pourrait pourtant le sortir de la misère. C’est son histoire que raconte Sara, étudiante à Londres, qui, pour tromper l’ennui et la solitude, pratique l’art traditionnel de la poterie que lui a enseigné Elango, alors qu’elle était petite fille dans un village en Inde.
Sara, petite fille, a suivi Elango dans la création de ce cheval géant de terre cuite. Elango lui a enseigné les rudiments et les secrets de la poterie traditionnelle. Elango va aussi recueillir un chien perdu, avec un collier, qui va bientôt devenir un lien entre les habitants du village, et qui a une place dans le roman de l’auteure.
Les amours d’Elango et de Zohra ne peuvent se vivre au grand jour. Elle est musulmane, et bien évidemment, une telle union n’est pas envisageable. Et c’est sur son « autorickshaw » qu’ils se verront pour ne pas éveiller les soupçons, autorickshaw qu’il utilise pour le transport d’enfants, des courses qui lui permettent de survivre.
Le cheval de feu aura coûté une dépense importante d’énergie, tant pour récupérer l’argile dans l’étang auprès duquel Elango travaille, que pour le façonner et le cuire. Lorsque cette tâche titanesque sera achevée, le cheval, dont les flancs sont décorés de motifs arabes incisés dans l’argile par le grand-père de Zohra, va susciter étonnement et admiration, mais c’était sans compter avec le racisme, et l’ire des villageois va se déchaîner.
La force de ce roman tient précisément au fait que l’auteure ne dresse pas une charge contre telle ou telle ethnie, telle ou telle religion, mais la trame du roman ne tiendrait pas si ce décor d’intolérance n’était pas constamment suggéré, bien plus que dit. Cette intolérance se double chez Anuradha Roy d’une valorisation du travail ancestral de la poterie, sans excès d’ailleurs, mais qui privilégie l’expression artistique à tout autre. Quant on demande à Elango de fabriquer en séries des poteries qu’on vendrait sans problème après les avoir exposées dans un hôtel à touristes, notre potier est lui happé par le besoin de construire son cheval de feu, beau symbole de travail ancestral, d’abnégation et de volonté de hisser l’homme à un niveau de réelle dignité.
C’est tout le sens de ce beau roman, la dignité, captivant parce que sans cesse plaçant l’homme devant son désir de beauté, d’humanité, d’amour aussi qui nous fait défaut. C’est un appel aussi à la contemplation, au recueillement, au respect d’autrui et de son travail, fruit d’acquisitions successives au fil des générations. Une immersion dans un village hindou, avec ses traditions, ses figures sociales, ses contradictions. Une bien belle fiction !
Guy Donikian
Anuradha Roy a fait ses études à Calcutta et Cambridge. Elle a travaillé comme journaliste dans différents médias indiens et dirige la maison d’édition Permanent Black. Elle réside en Inde et son œuvre est publiée chez Actes Sud.
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