Le Château d’Eppstein, Alexandre Dumas
Le Château d’Eppstein, septembre 2015, édition présentée, établie et annotée par Anne-Marie Callet-Bianco, 400 pages, 7,50 €
Ecrivain(s): Alexandre Dumas Edition: Folio (Gallimard)
Avec Le Château d’Eppstein, la collection Folio classique nous permet de redécouvrir un roman peu connu, mais très séduisant d’Alexandre Dumas. Relativement bref, ce roman fantastique se révèle en effet d’une grande richesse narrative et poétique.
Rien d’original, pourtant, en apparence. Le début du roman met en place un dispositif éprouvé : un cercle d’amis, se racontant des histoires de fantômes. Nous n’en connaîtrons qu’une, celle du château d’Eppstein, hanté par le spectre de la comtesse Albine qui par-delà la mort veille sur son fils bien-aimé.
Dès cette ouverture, le charme opère, et la rencontre dans la chambre rouge du narrateur avec la comtesse défunte n’est pas sans évoquer Les Hauts de Hurlevent. L’histoire de la comtesse Albine et de son fils Éverard que le narrateur apprend à cette occasion joue ensuite davantage sur le registre sentimental et merveilleux que sur l’horreur. Bien que les apparitions d’Albine dans la chambre rouge soient dramatisées à plaisir, le récit est plutôt dominé par la formation d’Éverard, ses amours, son éducation et son lien à la nature à laquelle se mêle la figure de sa mère.
Le merveilleux médiéval se conjugue à une idylle à la Bernardin de Saint-Pierre, dont le fond lointain est la révolution française et l’épopée napoléonienne. Les échos mélancoliques qu’en apporte avec lui l’oncle d’Éverard ne font que souligner le temps légendaire qui régit le château et le transforme en un espace à part – locus amoenus autant que terribilis.
C’est là que réside la réussite du roman. Dumas parvient à donner au décor convenu que sont le château et le domaine un véritable rayonnement, en superposant les récits le mettant en scène, selon deux lignes, chacune réitérée et se croisant : celle du fils banni et celle de la comtesse ressuscitée. Le destin d’Éverard est ainsi préfiguré par celui de son oncle, qui vient nourrir par ses réapparitions – fantomatiques, elles aussi, en un sens – la fatalité familiale par le tragique de l’Histoire.
Or, si le roman est né d’un manuscrit de Paul Meurice, le grand intérêt des documents de genèse fournis par l’éditrice du texte, Anne-Marie Callet-Bianco, est de montrer que l’intervention de Dumas se joue justement à ce niveau narratif. Le redoublement de la vie d’Éverard par celle de son oncle est le fait de Meurice, mais son manuscrit propose un début in medias res représentant une rencontre horrifique entre le comte Maximilien et Albine, son épouse décédée. Dumas, lui, multiplie les seuils : récit du narrateur, le comte Élim, mais aussi récit fait par Maximilien à Albine encore jeune fille de la légende du château promettant aux comtesses d’Eppstein mortes la nuit de Noël de ne pas quitter tout à fait les vivants. Ce récit de Maximilien met en scène le spectre d’une autre comtesse d’Eppstein en train de converser avec une amie décédée. Ces récits fantastiques emboîtés ne sont pas dépourvus d’une touche d’humour, ni surtout de tendresse, et tout au long du roman celle-ci vient lester d’humanité ce que les apparitions spectrales et les grandes orgues du fantastique peuvent avoir d’affecté.
Si séparément, les différents éléments convoqués par Meurice et Dumas peuvent évoquer de grands modèles – et Anne-Marie Callet-Bianco relève ces influences diverses – le roman, en les combinant et les superposant, plutôt même qu’en les fondant, parvient de la sorte à créer une tonalité complexe et touchante, d’où se dégage une authentique poésie.
Ivanne Rialland
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