Le chat Ponsard, André Fortin
Le chat Ponsard, septembre 2013, 248 pages, 18 €
Ecrivain(s): André Fortin Edition: Jigal
André Fortin, avant de devenir écrivain, a été juge d’instruction, juge des enfants, président de correctionnelle. Une carrière professionnelle où il a eu le triste privilège d’être le témoin de vies brisées dès l’enfance par des abandons puis des placements dans des fondations où l’instruction et l’apprentissage de la vie passe aussi par la soumission sexuelle à certains pensionnaires. Il fut le témoin et l’observateur d’une société où les intérêts publics et privés se mélangent, dans une course obsessionnelle au pouvoir et à l’argent. Des observations sans complaisance d’un homme qui se définit comme : « Un témoin engagé, plutôt porté vers les plus faibles car, historiquement en tout cas, le droit est fait pour ça, n’en déplaise à certains : rompre, par l’avènement de la règle, avec la loi de la jungle, la loi du plus fort ».
L’intégrité, l’honnêteté sont-elles des valeurs destinées à disparaître sous les attaques d’un monde à genoux devant le matérialisme, et la justice humaine peut-elle encore aller au bout de sa mission en maniant équitablement la balance et le glaive ? Telles sont, derrière l’intrigue de ce roman policier, les questions que l’auteur aborde avec tact et humanité.
Quand Lucien Ponsard, honnête et fidèle directeur financier d’une holding spécialisée dans les Travaux Publics, découvre dans la comptabilité des fausses factures et préfère démissionner plutôt que d’étouffer l’affaire, les rouages du destin vont s’enclencher inexorablement. Lucien Ponsard risque de parler et doit disparaître.
C’est du moins ce que pense Jean-Pierre Bernon, son patron, un entrepreneur veule et sans scrupules, ce que suggère et planifie Gilles Rupert un sénateur-maire affairiste, visant un portefeuille ministériel, toujours flanqué d’un homme de main, François Cano, ancien compagnon d’Algérie. C’est le contrat que doivent exécuter Léonard et Ali, un duo de jeunes tueurs, anciens gamins abandonnés et placés au Mas Saint-Paul. C’est ce que ne pourra jamais accepter Louise Larcher, la secrétaire dévouée, mais un brin borderline, de Ponsard. Ce n’est pourtant pas sur cette exécution que la police enquêtera à fond, ni ce que la justice aura à juger…
Si le « Tous pourris » titille la plume de l’écrivain, sa vision pessimiste de la société s’efface parfois pour laisser vivre et agir quelques personnages de second plan, ce qui n’est pas un hasard sous sa plume. Des sans-grade qui font de la résistance et tentent de faire correctement leur boulot : un inspecteur et un avocat commis d’office.
L’une des originalités du roman d’André Fortin tient dans le décalage entre la narration exemplaire d’une intrigue solide, crédible, d’un meurtre crapuleux conçu et réalisé par des personnages complexes, parfois englués dans leurs propres contradictions, et le glissement progressif du récit sur la mise en accusation de l’un des protagonistes, Ali en l’occurrence, pour un meurtre différent, un meurtre aux mobiles moins sordides, si l’on se risque à hiérarchiser l’horreur. La progression se réalise en douceur, des traits d’humanité retrouvée se frayant un passage dans l’âme de celui que l’on aurait volontiers qualifié d’irrécupérable. Et de fait, le roman policier, parfaitement maîtrisé, prend au détour des pages des tournures de conte. Une fable où le chat Ponsard sert de fil rouge et de figure allégorique : « Ainsi le chat Ponsard, armé de la légendaire patience du félin, mais aveuglé par la réussite et corrompu par le pouvoir, attendait, confiant, l’arrêt du destin ».
Véritables héros du roman, Ali et Louise… deux personnages qui échappent à la logique des escrocs, des médecins et de la justice. Deux êtres à part, auxquels le lecteur s’attache et qui, par delà la loi des hommes, trouvent le moyen de se soustraire au charivari du monde.
Le chat Ponsard est une petite pépite de finesse qui livre au lecteur, à défaut d’une « morale », une approche intelligente du sentiment de culpabilité, et suggère la nécessité d’une « différence » pour survivre dans une société en perte de repères.
Catherine Dutigny/Elsa
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