Le Chant des livres, Gérard Guégan (par Philippe Chauché)
Le Chant des livres, Gérard Guégan, Grasset, mai 2024, 100 pages, 16 €
Ecrivain(s): Gérard Guégan Edition: Grasset
« Le livre que je n’aurais pas dû lire, et que je venais de déposer grand ouvert sur mon visage pour me protéger du soleil, n’était autre que La Métamorphose. Je l’avais emprunté à une khâgneuse du lycée Thiers qui se prétendait la petite-nièce d’Arthaud, une contrevérité dont elle savait tirer parti quand elle voulait séduire les indifférents au nombre desquels elle m’avait compté ».
En lisant Le Chant des livres, nous pourrions tout d’abord écrire que les plus beaux chants sont ceux des livres, lus et relus, achetés, empruntés ou dérobés, ils donnent au lecteur cette liberté de vivre, cette liberté d’être, que rien d’autre n’offre, et si vous combinez cette lecture de livres admirés à des rencontres d’écrivains, à des voyages en terres d’écriture, vous tenez dans vos bras un heureux petit livre, lumineux et brillant, sans la moindre graisse de bavardage littéraire. Gérard Guégan nous raconte quelques instants de sa vie, de sa jeunesse marseillaise, avec peu de livres à déguster, de sa rencontre avec Jean Giono à Manosque, que les amis communistes de son père n’aimaient guère, aux aventures éditoriales du Sagittaire.
Le Chant des livres invite des écrivains, pour certains oubliés, à ce banquet généreux : Giono – Ses fictions romanesques, pour qui savait les lire, semblaient avoir été écrites par un instrumentiste à tu et à toi avec l’émerveillement et la désillusion – Kafka, Nucera, Miller – Miller avait presque tout vu, et il avait vécu autant de vies que ses livres le laissaient penser », Énard qu’il édita au Sagittaire : « Sur de nombreux points, politiques ou amoureux, nos cœurs battaient à l’unisson. Parfois, il me devançait, rarement il me décontenançait », et Rimbaud, dont il va un temps emprunter le prénom. Le Chant des livres pourrait aussi se baptiser Pour l’amour des livres et de la vie, tant la passion que nous offre Gérard Guégan est celle d’un heureux vivant, un réfractaire au malheur, un curieux de son temps, un savoureux lettré à l’œil pétillant. Dans son travail d’éditeur, de passeur, dans ses romans, Gérard Guégan sut et sait être là où on ne l’attend pas, sa biographie en témoigne.
« Giono, qui n’avait pas son pareil pour repérer les ambiances, fréquenta, en amoureux, les quartiers de ma jeunesse, la Plaine, Vauban, la Corniche, la rue Thubaneau, le boulevard Chave, et la place Sébastopol, mais Giono était de l’intérieur de la Provence, du Luberon, si l’on préfère. Il économisait, il ne dépensait pas ».
Gérard Guégan est un grand lecteur de livres, de l’Histoire et des histoires, qui sous son œil et sa main deviendront des livres uniques qu’il affine avec toute la vivacité d’un skippeur. Il ne craint ni les coups de vent, ni les déferlantes, ni les mers d’huile. C’est un navigateur stylé au regard perçant. C’est aussi un combattant, un homme des tatamis, du karaté, et cela s’entend dans ce petit livre, inspiré, ancré dans le sol de la vie et de l’aventure romanesque, entendu ce qu’il dit dans le petit film Le Karaté de père en fils : Sans travail, il n’y a pas de miracle !
Le Chant des livres touche à la perfection, et tient donc du miracle. Son récit, ses histoires de vies et de livres ont la force et la grâce d’une attaque brève, d’une vive parade de la paume, en deux phrases il saisit situations et personnages, à la manière d’un photographe : Sous l’objectif, la chair jette le masque.
Philippe Chauché
De Gérard Guégan écrivain nous retiendrons notamment : Sonia Mossé, une reine sans couronne (Editions Le Clos Jouve) ; Nikolaï, le bolchevik amoureux (Vagabonde) ; Fraenkel, un éclair dans la nuit (Editions de l’Olivier) ; Hemingway, Hammett, dernière ; Tout à une fin, Drieu (Gallimard).
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