Le Cerveau à sornettes, Roger Price
Le Cerveau à sornettes, avril 2015, trad. de l’anglais (E-U) par Frédéric Brument, 224 pages, 18 €
Ecrivain(s): Roger Price Edition: Wombat
En toute logique, il faudrait éviter de parler du présent livre de Roger Price (1918-1990), puisqu’il s’agit du manifeste « évitiste » absolu. D’un autre côté, respecter la logique lorsqu’il est question des écrits de Roger Price, humoriste de son état, tiendrait quasi de l’absurde. Pas celui de Camus. Celui d’Alphonse Allais.
Reprenons. Préfacé par un Georges Perec de toute évidence sous le charme en 1967, Le Cerveau à Sornettes (In One Head and Out the Other en version originale, 1951) connaît une nouvelle traduction et donc une nouvelle jeunesse aux éditions Wombat, qui le présentent comme un « chef-d’œuvre nonsensique », « un des livres les plus frappadingues de la littérature comique anglo-saxonne » – ce qui a de quoi allécher tout amateur de mauvais esprit.
Et du mauvais esprit, ce Cerveau à Sornettes en regorge : Roger Price, qui écrivit pour Bob Hope entre autres, s’attaque avec plaisir… à un peu tout, en fait, pour autant qu’il s’agisse d’une quelconque forme de volontarisme, à commencer par les Cromagnons, puisque « ces sauvages primitifs avaient déjà commencé à développer une société non-évitiste contre-nature ; par leurs coutumes, ils posèrent les fondations qui aboutirent aux systèmes sociaux de l’époque actuelle », et de partir dans un délire tout à fait absurde sur l’invention de la roue, avec laquelle « l’homme entamait sa lutte désastreuse contre la mécanique, qui culminera avec des réalisations technologiques comme la mitraillette Thompson et l’autorisation de fumer aux balcons des théâtres ».
On l’aura compris aux extraits cités ci-dessus, on s’amuse bien en lisant Le Cerveau à Sornettes, du moins si on a l’esprit réceptif aux phrases finissant de façon incongrue et aux dessins d’un schématisme sidérant destinés à illustrer les propos de l’auteur ; on retiendra entre autres la « Figure 9. Système nerveux féminin », destiné à « influencer le cerveau masculin » et représenté sous forme d’une pin-up allongée et vêtue d’une jupe et de chaussures à talon haut… Il est vrai qu’un autre schéma (la « Figure 7. Vue en coupe d’une tête d’homme ordinaire ») montre quant à lui une zone 4 nommée « Marilyn Monroe » : « cette partie jouit d’une position prédominante dans le cerveau, puisqu’elle occupe 92% de son volume total, ce qui rompt l’harmonie de l’ensemble », ce dont on aurait pu se douter, mais merci à Roger Price de l’avoir souligné.
A côté de cet humour un peu potache, on trouve aussi dans les chapitres 4 et 5 une charge totale contre la psychanalyse, « cette méthode qui vise à traiter les névroses bénignes consiste à laisser le patient parler de lui-même jusqu’au moment où il s’ennuiera tellement qu’il en oubliera ce qui n’allait pas chez lui au départ » ; suivent des exemples d’analyse plutôt plaisants et montrant le peu de foi que Price accorde à cette « méthode ».
Arrive ensuite le chapitre 6, central, qui s’attaque au nœud du problème : l’évitisme, « une philosophie nouvelle et optimiste conçue pour sauver l’homme moderne de lui-même. Le principe de l’Évitisme est simple : un Évitiste évite les choses, tout simplement ».
Il les évite car le non-évitement conduit à l’implication, source de tous les problèmes de l’homme.
Descartes disait : « Je pense, donc je suis ».
L’Évitiste dit : « J’veux pas, donc j’march’rai pas ».
Suivent des développements expliquant en long et en large cette philosophie, ses avantages et ses nuances, avec force digressions souriantes, et l’une ou l’autre charge emplie de mauvaise foi, en particulier contre l’art moderne (« Beaucoup de gens ne comprennent rien à l’art moderne. Quand ils regardent un tableau, ils veulent y voir représenté quelque chose, comme une vache, un coucher de soleil ou un réfrigérateur. Or, pour comprendre une œuvre d’art moderne, vous devez saisir la signification psychologique cachée au plus profond de l’image ». Et Price de proposer l’analyse d’un tableau ressemblant un peu à du Picasso…).
Tout cela est plaisant, et on adhérerait volontiers à l’évitisme prôné par Price, n’était que l’humour dont il fait preuve semble aujourd’hui un peu daté. En ce sens, la lecture de ce livre peut s’apparenter au visionnage de certains films de Jerry Lewis, Le Zinzin d’Hollywood ou Docteur Jerry and Mister Love par exemple : on rigole volontiers, on décrypte assez aisément la cible visée par tel ou tel trait humoristique, mais on a le sentiment que cet humour est un peu dépassé, voire a mal vieilli. Idem pour l’essai humoristique de Price qui semble trop « de son époque », au contraire de certains romans contenant de l’humour. En bref, c’est plaisant à lire, mais on n’en retient pas grand-chose et il n’est pas sûr qu’on y reviendra de sitôt.
Didier Smal
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