Le Canyon, Benjamin Percy
Le Canyon (The Wilding), 352 p. 22,90 € (2012) Traduit de l’américain par Renaud Morin
Ecrivain(s): Benjamin Percy Edition: Albin MichelUne dernière fois avant la destruction. La réserve naturelle d’Echo Canyon va bientôt être rasée et céder la place à un vaste complexe immobilier, mêlant casino, golf et pavillons. Quelques jours avant que le paysage soit défiguré à jamais, Justin va y passer un week-end camping et chasse, en compagnie de son père, Paul, et de son fils d’une dizaine d’années, Graham.
« Un moment entre hommes ne peut nous faire que du bien. »
Mais le week-end ne s’annonce pas des plus tranquilles. Les hommes sont à cran. Depuis des années, la tension règne entre Justin et son père. Son père le considère toujours comme un gamin, il ne le trouve pas assez dur, pas assez homme, il veut toujours lui commander quoi faire à l’image de l’ours qu’il l’avait obligé à abattre alors qu’il n’avait que douze ans. Et maintenant adulte, le fils n’ose pas s’imposer et s’affirmer face à ce père qui prend toute la place. Lui qui n’a jamais été ce genre à emmener son fils à Disneyland quand il était enfant, mais plutôt à charger des fusils et de matériel de camping dans son pick-up pour l’emmener camper. Ce n’est que de cette manière qu’il pouvait devenir un homme, un vrai…
Justin est marié avec Karen. Leur couple bat de l’aile. Depuis qu’elle a fait une fausse couche, ils ont du mal à trouver les mots pour se parler et un rien constitue un motif de dispute.
Karen s’est réfugiée dans la pratique de la course à pied. Un exutoire qui l’a complètement transformé, aussi bien physiquement que psychologiquement.
Elle est contente de se débarrasser de son mari pour passer enfin un week-end seule et tranquille, même si elle redoute tout de même de laisser son fils aux mains d’un grand-père vindicatif et brutal.
Elle fait la rencontre de Brian, un serrurier. Vétéran de la guerre d’Irak, il n’en est pas revenu indemne. Il est victime de maux de têtes terribles et il se sent complètement inadapté à la vie locale. Il a l’impression que son plus gros défi désormais est de savoir quelle émission télé regarder.
C’est comme si Le Canyon contenait deux romans en un seul. D’un côté, trois générations d’homme qui passent un week-end dans la nature, de l’autre, une femme et un vétéran de l’Irak en ville.
Le premier est nettement supérieur au second. Il aurait même suffit à lui seul.
On pourrait reprocher à Benjamin Percy de ne pas s’être assez concentré sur une histoire et d’avoir voulu embrasser trop de choses à la fois. Il dresse un parallèle entre la nature sauvage et la vie citadine pour démontrer, sans doute, que le plus sauvage des deux n’est pas forcément celui que l’on croit. Du déjà vu en somme.
Il perd ainsi en intensité. Au lieu d’enfoncer le clou, de faire suffoquer son lecteur en le prenant à la gorge (à la manière de Davin Vann dans Sukkwann Island par exemple, dont les thèmes sont assez proches) il lui laisse trop souvent l’occasion de s’échapper. L’auteur sait bien où est son véritable sujet, car il a tendance à expédier les pages consacrées à Karen et Brian pour retourner au plus vite à Echo Canyon. Et là-bas, il fait preuve d’un formidable sens de la dramaturgie. Il fait monter la tension par petites touches. Elle est déjà présente entre Justin et Paul, mais elle ne demande qu’à s’exacerber au contact d’une nature, hostile, forcément hostile.
Peu de temps après avoir installé leurs tentes, les trois hommes entendent un bruit de sifflement. C’est un crotale. Paul se fera un malin plaisir à le tuer, en laissant agoniser la bête pendant une demi-heure, sous les yeux fascinés de son petit-fils, Graham. Et le grand-père va bientôt offrir au petit-fils son tout premier fusil, espérant qu’il saura mieux s’en servir que son père et être, lui, véritablement un homme.
D’une plume alerte et lyrique, Benjamin Percy magnifie l’environnement. Les descriptions sont denses et précises, dans la grande tradition de romanciers naturalistes américains, de William Faulkner à James Lee Burke, en passant par Cormac McCarthy. Il prend son temps pour installer un climat d’angoisse. Ici, il n’y a pas dé péripéties qui se succèdent à toute vitesse. Au contraire, en se faisant rares, elles gagnent en puissance et en brutalité. L’intensité provient aussi de l’utilisation du présent qui donne au récit un sentiment d’inéluctabilité. Tout peut arriver. Tout ne demande qu’à arriver. Et tout ne peut qu’arriver quand on se retrouve à cran.
Le Canyon est une vraie réussite et impose Benjamin Percy comme une plume à suivre de près. Un futur grand ?
Yann Suty
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