Le camp des autres, Thomas Vinau
Le camp des autres, 24 aout 2017, 194 pages, 17 €
Ecrivain(s): Thomas Vinau Edition: Alma Editeur
Il semble que le thème de ce livre, la fuite hors du monde des hommes, le refuge au cœur de la forêt, la survie, intéresse beaucoup cette rentrée littéraire. La Cité des hommes et ses excès, ses injustices, ses violences, a toujours fait rêver certains d’un ailleurs, peut-être moins confortable, mais qui offrirait la liberté que les sociétés policées ne proposent pas.
C’est, dans la première moitié du livre, l’aventure presque solitaire du jeune Gaspard, parti de chez lui avec une jeunesse épouvantable achevée par un geste épouvantable.
Il s’enfonce dans la forêt, trimbalant un chien blessé, invalide et souffrant. Il va découvrir un monde secret, complexe, un univers à part, avec ses codes, ses lois, ses bruits, sa respiration. On ne s’impose pas à la forêt, Gaspard va vite apprendre qu’on se soumet à elle si l’on veut survivre.
La langue de Thomas Vinau, appuyée sur la poétique pure des mots de la flore, de la faune, fait merveille pour nous inonder de l'univers mystérieux et bruissant de la forêt, écrin dans lequel le lecteur se laisse glisser avec délice et une ombre sourde d'inquiétude.
« Nid grouillant de cadavres et de nouveau-nés, de cycles de dévoration et de reproduction, de poils, de plumes, de peaux, d’os, de viandes, d’humus, de glaise, d’argile, de temps, de nuit, de ciel. Danse nuptiale des prédateurs et des proies, des instincts et des hormones, des nuits sans fond et des brouillons bouillonneux de la lumière, des vibrations du soleil et de la lune. Lit sans fond et archaïque, berceau et tombeau, déesse mère du vivant, crâne fendu d’où s’est extrait terrifiée la bête aux rêves nus qui ne sait pas qui croire. La forêt ».
Et surgira l’initiateur, l’homme des bois, venu on ne sait d’où. Jean-le-Blanc, c’est ainsi qu’on l’appelle. Comme un oiseau chasseur de serpents. Chasseur, sorcier, herboriste, chimiste à sa façon, il a tout appris des secrets et magies de la forêt. Il sera le maître initiatique de Gaspard : il lui transmettra ses savoirs mystérieux, il lui apprendra à lire, il soignera le chien. Et encore, le tourbillon merveilleux des noms des plantes, enveloppant leurs vertus secrètes, salvatrices ou mortelles.
« Le pavot, le chanvre et l’orpin, l’ail des ours, la bourrache, l’airelle et l’aigremoine. Le cerfeuil, la centaurée, la fumeterre officinale. L’hysope et la gentiane. L’ortie et le millepertuis. Chaque plante que tu écrases a un nom et une fonction. Comme chaque insecte, chaque champignon, chaque étoile. Tu peux sauver ou tuer, faire tomber la fièvre, ou vider les entrailles ».
Mais il n’est pas d’initiation authentique sans révolte et désir d’ailleurs encore. Gaspard ira, fort de son apprentissage, vers les horizons qu’il ne connaît pas encore. Pour découvrir loin dans la forêt une bande incroyable de gens du voyage, « la Caravane à Pépère », tour de Babel vivante, grouillante, faite de gens forgés par la dureté de la vie. Le camp des autres.
« Dans le camp, il y a des bagnards sculptés dans la cendre, les yeux rendus fous par les fièvres, des pupilles comme les plombs des fusils, muscles séchés par l’humidité et la chaleur de la Guyane, bouches noires et sans dents du scorbut. Il y a des Africains, perdus des colonies, enrôlés débarqués, effarés égarés, des moustaches d’Arabes égorgeurs, des corps d’Ottomans taillés au granit pour les foires, un géant noir et brillant, briseur de chaînes aux allures de gladiateur paumé ».
Gaspard apprend avec eux les solidarités fondamentales, les révoltes sociales, la dureté de la société policée que les bourgeois des villes ont bâtie en ce début de XXème siècle. La répression des pauvres, des bannis, des sans rien.
Thomas Vinau nous offre là un livre d’une grande beauté formelle et d’une vraie puissance d’émotion.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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