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Le Baal Shem Tov, Mystique, magicien et guérisseur, Jean Baumgarten (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier le 18.08.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Baal Shem Tov, Mystique, magicien et guérisseur, Jean Baumgarten, Albin-Michel, février 2020, 204 pages, 19 €

Le Baal Shem Tov, Mystique, magicien et guérisseur, Jean Baumgarten (par Gilles Banderier)

Envisagés d’un certain point de vue, les deux millénaires d’histoire du christianisme furent une longue lutte (toujours pas achevée et qui ne s’achèvera sans doute jamais) contre les hérésies, en apparence grouillantes, mais qui en réalité se coagulent toujours autour de quelques points fondamentaux du dogme. En comparaison, et au strict point de vue théologique, le judaïsme, après avoir survécu à la chute du Temple, connut un parcours plus paisible, puisqu’il ne fut affecté que par deux hérésies majeures. La première, le qaraïsme, n’occupe guère de place dans les livres d’histoire, même si les qaraïtes existent toujours. La seconde, en revanche, manqua tourner à la catastrophe. Dans les années 1650, un Juif né à Izmir, Sabbataï Tsevi (1626-1676), se proclama le Messie. Il ne fut pas le premier à le faire, bien que l’influence des faux messies eût été restreinte et leur espérance de vie limitée. Contre toute attente, Tsevi parvint à convaincre une fraction non négligeable des Juifs d’Europe. L’écho s’en fit entendre jusque dans la correspondance de Spinoza. Même la conversion finale de Tsevi à l’islam ne parvint pas à entamer la foi de ses sectateurs les plus résolus, en dépit de toute raison. Les autres y avaient perdu leurs illusions et parfois davantage.

On ne peut comprendre le Baal Shem Tov si l’on oublie cet épisode, où le judaïsme – qui a traversé les siècles en l’absence de toute autorité centrale – faillit disparaître.

Ce fut sur cette sombre toile de fond qu’apparut un personnage à mi-chemin entre l’histoire et la légende. C’est un lieu commun de dire que les grandes crises permettent l’émergence de hautes figures capables de les dépasser. Le « Maître du Bon Nom » n’a rien d’un personnage de roman ; il a réellement vécu dans ces marches de l’Europe, non loin de l’empire ottoman, d’où partit la fièvre messianique. Il naquit en 1698 ou 1700, dans une de ces bourgades de l’actuelle Ukraine, où peuples et religions cohabitent sans se mélanger. On ne sait rien de son enfance ni de son adolescence (ce qui est à l’époque normal). Vivant de petits métiers, jamais loin de la misère, il ne tarda pas à se faire remarquer par ses dons hors du commun. Le bruit courut que ce kabbaliste doué accomplissait des miracles et pourrait bien être un de ces « justes cachés » sur qui repose le monde. De manière prévisible, le Baal Shem Tov finit par compter autant d’adeptes que de détracteurs. Il développa (ou retrouva) des techniques mystiques permettant un contact direct avec Dieu. « Le Baal Shem Tov a ainsi développé une vision du divin qu’on a pu qualifier d’acosmique ou de pancosmique. Le divin habite en tout lieu et en toute créature, il s’épanche dans la totalité de l’univers, il imprègne le monde de son empreinte, visible ou invisible, mais omniprésente » (p.83). On retrouvera une vision des choses assez semblable loin du monde juif, chez un Franz Anton Mesmer. Il connut des extases en public. N’ayant pas laissé grand-chose de sa main (une longue « Épître sainte », Iggeret ha-kodesh, écrite en 1752 à son beau-frère parti vivre en Eretz Israël), il confia à ses disciples le soin d’écrire sa biographie – ou son hagiographie. Il n’est pas difficile de comprendre que, de son vivant, le Baal Shem Tov occupait au sein de sa communauté la même position que les différents saints du catholicisme. Il est le fondateur d’un courant puissant à l’intérieur du judaïsme, le hassidisme, refusant à la fois le rationalisme issu des Lumières et la réduction de la vie juive à une série d’observances. Donnant un rôle important à la joie et à l’enthousiasme (symbolisés par le chant et les fameuses danses – « je ne connais aucune autre musique qui porte en elle tant de bonheur, ou qui guérisse si bien les cœurs tristes », écrivait Éliette Abécassis), le hassidisme porte à son plus haut degré de réalisation l’impératif catégorique du judaïsme en général : « Choisis la vie ! » (Devarim / Deutéronome 30, 19).

 

Gilles Banderier

 

Directeur de recherche au CNRS, Jean Baumgarten est spécialiste du yiddish et du hassidisme.

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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).