Lauzes, Angèle Paoli (par Philippe Leuckx)
Lauzes, mars 2021, 124 pages (préface Marie-Hélène Prouteau, Ill. Guy Paul Chauder), 20 €
Ecrivain(s): Angèle Paoli Edition: Al Manar
Voilà un ouvrage qui déroge à l’ordinaire des publications et le titre sans doute étrange en dresse une porte d’entrée insolite. Les lauzes, entre vert et gris, qui peuplent certaines toitures, servent de petites pierres pour accueillir ici chacune des découvertes romaines ou autres qu’un regard d’observatrice experte propose. Un rien entomologiste, visant à scruter à la manière d’un insecte le monde ambiant, la nouvelliste prend son temps pour trouver les beaux et bons mots aptes à restituer lumière, éclat, souvenirs.
Particulièrement beaux, les deux récits (Ponte Mammolo, Centrale Montemartini) qui nous mènent aux confins pasoliniens de Rome : Via Ostiense ou vers Tivoli, dans un endroit pas possible où il faut patience pour se trouver un bus, un train, mais où la solidarité sert parfois et heureusement de monnaie d’échange. On retrouve là l’esprit pasolinien des terrains vagues, des rencontres fortuites, d’une Rome populaire et quasi oubliée, loin du centre, aux confins de la ville. Angèle s’y trouve à son aise, dans la description précise de ces lieux désordonnés, bouillants de vie, incommodes et vrais.
Chaque poème sert de transition entre deux récits.
Les chasseurs à l’affût surveillent les talus
lauzes à découvert
bouquets de menthe bleue (p.61)
Chaque poème, comme une lauze zèbre le toit.
Transition ou miracle de vert gris.
L’Italie donne sa coloration particulière à ces récits, L’Arétin, la « Jeune fille morte », les collines toscanes s’imprègnent d’une atmosphère, à la fois ouatée et grave, à l’aune des fresques observées. Comme les lauzes se superposent pour offrir une étanchéité parfaite, les récits, ici, s’emboîtent pour dérouler la ferveur de la nouvelliste envers sa terre aimée.
L’écriture, très gourmande de sensations vives, se nourrit de termes rares, que la botanique enchante, sert une sensualité aussi vive, comme dans le volume Italies Fabulae, comme si les terres fêtées rejaillissaient dans la forme même du propos.
A-t-on jamais vu nonnains en cornettes pique-niquer toutes de noir vêtues sur une plage où les femmes vont nues ? Assises en tailleur sur les galets chauds voilures offertes à la brise et ailes d’aigrettes elles sont occupées à poser bien à plat nappes et couverts à soupeser des fruits la rondeur parfaite pêches joufflues et cerises gourmandes à picorer de-ci de-là de menues friandises qu’elles tirent, minutieuses, de leurs paniers (p.105).
Les décors d’île, les plages, « un vieux château » plein d’araignées, les relents d’histoires anciennes, l’imagination méditerranéenne offrent à l’ensemble les repères d’une culture joyeuse, des paysages qui puissent enivrer ou étreindre l’âme du lecteur gourmet, qui ne se contente pas d’intrigues mais s’émeut de l’enchantement cultivé d’une nouvelliste qui sait, ô combien, manier la langue de Voltaire et raconter, en témoin, en observatrice heureuse, les rêves de son âme profonde. N’y manque même pas la trace corse, puisque les belles illustrations qui signent ce livre de voyage sont dues à un pur Corse qui travaille sur l’île de Beauté.
Un livre enchanteur.
Philippe Leuckx
Angèle Paoli, poète, nouvelliste, critique, vit au Cap Corse. Elle a longtemps enseigné, et dirige depuis plus de seize ans un site remarquable consacré à la poésie, Terres de femmes. Elle a entre autres écrit : Italies Fabulae, et Tramonti.
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