Langage et langue de la poésie française contemporaine, Giovanni Dotoli
Langage et langue de la poésie française contemporaine, janvier 2015, 335 pages, 30 €
Ecrivain(s): Giovanni Dotoli Edition: HermannQu’est-ce que la poésie ?
Comment définir la spécificité du langage poétique ? Où se situe et comment se manifeste, parmi les diverses fonctions de la langue, la fonction poétique de la langue ? Qu’est-ce qui oppose et qu’est-ce qui unit la poésie française contemporaine et la poésie française classique ?
Giovanni Dotoli, universitaire, critique et poète italien, brillant francophone, parfait connaisseur de l’art poétique français et de son histoire, fouille et trifouille en ce riche ouvrage les œuvres de poètes de tous horizons qui ont choisi notre langue pour en faire leur langage poétique.
Fondant sa réflexion sur l’étude d’un corpus impressionnant d’extraits de poèmes et de professions de foi poétique formulées dans l’espace et le temps de la poésie francophone par un vaste panel de poètes, Dotoli aligne et confronte les multiples fonctions du langage poétique et les représentations innombrables du fait poétique qui s’en dégagent, soit affirmées et revendiquées explicitement par les auteurs francophones de toutes époques, soit exprimées de façon plus ou moins subliminale dans l’œuvre même de nos poètes.
L’auteur s’appuie évidemment sur les travaux des linguistes, se référant entre autres à Jakobson.
La langue-poésie a sa spécificité, son autonomie, sa vie à elle. C’est pourquoi on parle enfin de fonction poétique du langage.
L’intérêt principal de cet ouvrage aussi érudit que passionné, voire passionnel, et incontestablement passionnant pour qui s’intéresse à l’écriture poétique, réside en l’absence totale de parti-pris. Ici, point de querelle entre Anciens et Modernes, point d’opposition entre d’une part une poésie classiquement prosodique d’essence et de contraintes formelles typiquement françaises et d’autre part une expression poétique contemporaine des plus émancipées non seulement des règles historiques de notre versification traditionnelle mais encore des lois syntaxiques, des codes lexicaux, et même des habitudes calligraphiques et typographiques qui ont caractérisé notre poésie écrite jusqu’au moment où un Apollinaire a commencé à y contrevenir.
Dotoli illustre volontiers sa réflexion en faisant appel à Bonnefoy, qu’il admire manifestement, pour qui les expériences formelles les plus diverses en poésie, non seulement ne s’opposent pas mais encore peuvent être associées dans une même œuvre poétique, seule important la musique que produit le chant (le champ) du texte.
[…] relire les thèses d’Yves Bonnefoy […]. Peut-on parler de structure, pour sa langue ? Absolument pas, si on parle de l’imaginaire et du langage, oui, si on parle de langue, de vers et de strophe. La structure de son langage est celle du rêve, du récit et de l’ailleurs. Le mouvement de la phrase est celui du rêve lui-même et de l’eau. La beauté harmonieuse vient du mouvement intérieur. Et toutefois la strophe a un pouvoir architectural. Le vers a sa métrique, le vers classique s’alterne avec le vers libre, et parfois aussi avec de la prose poétique…
On reproche régulièrement à la poésie moderne d’être hermétique et de se situer conséquemment à une distance infranchissable du commun des lecteurs ?
« Qu’importe si le texte poétique n’est pas compréhensible à première vue ? », s’écrie l’auteur.
Si le sens n’est pas donné, le lecteur le construira, le déduira, le trouvera, le verra ou l’entendra venir à lui : L’unité du sens doit exploser à l’œil (par la disposition, linéaire ou non, en vers visibles ou non, des mots sur la page), à l’oreille (par le rythme des séquences lexicales, l’association et la correspondance des sons) et à l’esprit (par la multiplicité des polysémies, des connotations, des associations provoquées par la juxtaposition ou la mise en écho, évidemment par la métaphore et toutes les figures de style).
La marque du langage de la poésie française contemporaine est la liberté, fragile et forte, signe d’une poéticité qui se renouvelle…
Tout est possible à partir du moment où le poète décide que tout est permis : la route des structures plurielles est tracée, à jamais.
Qu’on ne vienne surtout pas dire à Dotoli que la langue française moderne serait peu propre à l’expression poétique !
Je trouve inutile toute polémique concernant la valeur poétique de la langue française.
La puissance poétique de notre langue réside dans la polyvalence, qui est aussi richesse de la langue française, langue de France et langue de partage pour les poètes des autres pays qui l’ont choisie.
En 180 pages d’interrogations, de réflexions, d’observations balayant un champ immense d’œuvres de poètes francophones, Dotoli conclut à la « poéticité » essentielle, consubstantielle de la langue française.
Mais alors, qu’est-ce que la poésie ?
Dans une deuxième partie de son ouvrage, l’auteur donne la parole à quarante-quatre poètes francophones de tous horizons, des plus célèbres aux moins connus. Chacun livre ici ce qu’est pour lui la poésie, et ce qui fonde sa propre poésie. Les poètes non francophones natifs exposent en outre les raisons qui les ont amenés à choisir le français pour exprimer leur vision poétique de l’univers.
Mais encore, qu’est-ce que la poésie ?
En appendice, cerise sur le gâteau, Dotoli nous offre une republication du Manifeste pour un parti du rythme de Meschonnic.
Enfin, qu’est-ce qu’une langue poétique ?
Dotoli nous en offre mille et une définitions, toutes aussi justes et intéressantes les unes que les autres. Il en ressort que le champ poétique est infini, que le génie poétique de la langue est en perpétuel bouillonnement, que la langue française est fondamentalement porteuse d’une créativité indéfiniment renouvelable.
Patryck Froissart
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