Lagos Lady, Leye Adenle
Lagos Lady, mars 2016, trad. anglais (Nigeria) David Fauquemberg, 333 pages, 20 €
Ecrivain(s): Leye Adenle Edition: Métailié
Guy Collins, jeune journaliste britannique au service d’une start-up londonienne qui peine à démarrer, se porte volontaire pour un reportage au Nigéria.
Qu’allait-il faire dans cette galère ?
Le soir même de son arrivée à Lagos, allé boire un verre dans un bar où il est immédiatement abordé par des racoleuses, il se retrouve sur les lieux d’un crime horrible perpétré en face de la taverne sur la personne d’une jeune prostituée à qui les meurtriers ont sectionné les seins.
Embarqué par la police, il fait bien malgré soi la connaissance de l’inspecteur Ibrahim et découvre avec épouvante les méthodes expéditives et définitives du sergent Hot-Temper qui envoie devant lui directement en enfer d’une balle dans la tempe deux personnes qui viennent d’être arrêtées.
Voilà pour donner une petite idée de l’ambiance qui happe le lecteur dès les premiers chapitres de ce roman galopant.
Sorti des bureaux sordides du commissariat par l’entregent d’Amaka, jeune femme nigériane mystérieuse qui semble en imposer à l’inspecteur Ibrahim, Guy Collins est entraîné, dans le sillage nébuleux de sa libératrice avec qui il noue une relation amoureuse, dans une succession d’aventures rocambolesques dignes de la plus noire des séries du nom.
Leye Adenle recourt au procédé narratif d’alternance des points de vue. Le narrateur principal, omniscient, utilise la troisième personne. La parole est laissée de façon régulièrement intermittente au héros, Guy Collins, qui s’exprime en son propre nom, à la première personne.
La méthode n’est pas originale, mais en l’occurrence elle permet de focaliser le désarroi du journaliste, totalement perdu dans le tourbillon des péripéties dont il est involontairement le témoin, la victime et ponctuellement un des acteurs. Les phrases interrogatives qui ponctuent le discours monologue de Collins traduisent de manière expressive son effarement.
« On m’a conduit jusqu’à une salle où flottait une odeur de poussière. Elle ne possédait qu’une seule fenêtre de soixante centimètres de côté, dont les persiennes de verre, couvertes de crasse, donnaient l’impression de ne jamais avoir été ouvertes. […]. J’ai enfin eu le temps et la solitude nécessaires à l’évaluation de ma situation. J’en ai conclu que j’étais bel et bien foutu. […]. Aucune des personnes susceptibles de s’inquiéter de mon sort ne savait où j’étais. […]. Quelqu’un m’avait assuré qu’au Nigeria, il n’existait aucun problème qu’un pot-de-vin ne puisse régler. […]. Je me suis demandé comment il fallait s’y prendre. Devais-je d’abord faire une offre ? Allait-on me dire combien il fallait payer ? Existait-il une sorte de barème officiel pour ce genre de transaction ? »
Le tableau que brosse Leye Adenle de la société nigériane est absolument implacable. On pourrait y appliquer en les dévoyant ces paroles d’une chanson à succès des années 60 : « Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir »…
Les personnages hauts en couleur affublés pour certains de pittoresques noms de guerre (Knockout, Catch-Fire), Mister Malik, Roméo, Go-Slow, Tati Baby, Chief Amadi, se croisent, se tirent dans les pattes, s’entretuent dans un kaléidoscope d’actions sanguinaires dignes des films noirs américains les plus frénétiques sur un fond sonore crépitant de tirs de revolvers et de rafales d’armes automatiques.
Violence, gangstérisme, crime organisé, corruption, collusions, mafia, prostitution, drogue, inégalités sociales extrêmes, arbitraire des autorités policières, esclavage sexuel, tous les ingrédients d’une société en complète déliquescence s’enchevêtrent et constituent le contexte d’une intrigue complexe, dans la trame de laquelle émerge progressivement un fléau qui met en faisceau et en réseau tous les vices qu’on vient d’énoncer : l’atroce prélèvement et l’odieux et juteux trafic d’organes humains à des fins d’occultes cérémonies rituelles.
Une société (mais ce mot même ne signifie rien, où il n’y a plus de contrat social) dans laquelle la vie humaine n’a aucun prix.
On y tue tout aussi facilement qu’on y vole et qu’on y viole.
On y achète et on y vend sans distinction armes, voitures, drogue, femmes, sexe, corps humains morts ou vifs, entiers ou découpés en morceaux…
« Des organes et des membres humains – têtes, yeux, langues, seins – vendus à des sorciers pour des sommes pouvant atteindre dix mille dollars la pièce… »
La fiction, en ce roman, semble souvent rejoindre la réalité telle que nous pouvons la percevoir régulièrement par les canaux médiatiques. Leye Adenle conte, certes, mais aussi raconte, relate, décrit, sans fausse pudeur, sans modération, et son écriture est manifestement dénuée de tout souci de sa part de rester politiquement correct.
Un roman absolument important.
Âmes trop sensibles s’abstenir ?
Patryck Froissart
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