Labyrinthe, Burhan Sönmez (par Gilles Banderier)
Labyrinthe, mars 2020, trad. turc, Julien Lapeyre de Cabanes, 218 pages, 20 €
Ecrivain(s): Burhan Sönmez Edition: Gallimard
Né en 1965, Burhan Sönmez est une des plumes les plus importantes et les plus singulières de la littérature turque contemporaine. Ses deux premiers romans sont pour le moment (honte à nous) inédits en français. Le troisième avait été traduit en 2018, son titre Maudit soit l’espoir constituant une « belle infidèle » (en turc, le roman s’intitulait simplement Istanbul Istanbul).
Le titre de ce quatrième roman, Labirent, a été traduit fidèlement. Le labyrinthe en question est, d’une part, celui des rues d’Istanbul, mégapole à cheval sur deux continents, où l’on peut déambuler à l’infini, de jour comme de nuit. Ce n’est pas la vision sinistre de l’Istanbul souterrain et carcéral, décrit dans Maudit soit l’espoir, mais une ville chaleureuse, où l’on s’amuse, consomme de l’alcool et où de belles jeunes femmes laissent librement flotter leurs cheveux aux terrasses des cafés. Comme dans le roman précédent, Istanbul, avec ses foules, ses vendeurs ambulants, ses vapur, ses mouettes, est quasiment un personnage à part entière. D’autre part, le labyrinthe est une métaphore de la mémoire et de l’oubli.
Le personnage principal, Boratine, se réveille un beau jour à l’hôpital, l’esprit aussi vierge de souvenirs que la fameuse page blanche censée terrifier les écrivains. « Personne ne songe à son passé tant qu’il en possède un, il faut d’abord perdre la tête pour ne plus penser qu’à lui » (p.80). On lui rappelle ou on lui apprend (car il ne s’en souvient pas) qu’au beau milieu d’un embouteillage sur un pont du Bosphore, il est sorti tranquillement de son taxi et s’est jeté dans le vide ; un geste qui évoque celui du chanteur Yavuz Çetin (1970-2001). D’une hauteur pareille, la surface de l’eau est, à l’arrivée, aussi dure qu’une dalle de béton. Mais Boratine a survécu, il n’a pas de séquelles, si ce n’est cette amnésie complète. Qui est-il ? Quelles sont ces personnes qui se disent ses amis (a-t-il des raisons d’en douter ?) et lui racontent des souvenirs communs ? Quel est cet appartement ? Pourquoi est-il meublé ainsi ? Que fait là une reproduction de la Pietà de Michel-Ange ? Est-ce vraiment Boratine qui a écrit cette chanson qu’il entend, reprise par les membres de son propre groupe ? « Les gens regardent l’existence comme on jauge les livres chez le bouquiniste. Les plus récents sont les moins chers, les plus anciens valent une fortune. Dans la vie aussi, c’est le passé qui compte » (p.49).
Burhan Sönmez livre avec son nouveau roman une méditation puissante et altière sur la vie, l’oubli, la littérature.
Gilles Banderier
Né en 1965 dans un petit village d’Anatolie, Burhan Sönmez est avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme. Il partage sa vie entre Cambridge et la Turquie.
- Vu : 1900