La voix impitoyable, Lilian Auzas
La voix impitoyable, 28 août 2013, 129 pages, 17 €
Ecrivain(s): Lilian Auzas Edition: Léo Scheer
La voix impitoyable : impitoyable
La voix impitoyable, c’est celle de la propagande nazie. « Je me suis laissé séduire par cette voix (…) Je hurlais, je criais, je jubilais. J’étais atteinte de frénésie, j’étais grisée » confesse Hanja.
En 1979, Gautier, jeune photographe qui vit à Paris, a fait la connaissance de sa voisine Hanja Sauber, une dame âgée « femme à la fois douce aimable et ouverte d’esprit » qui a longtemps vécu à Berlin, ville à laquelle Gautier a consacré un album. Ils se lient. Gautier « avait aimé Hanja comme sa propre mère ».
Peu de temps après la mort de celle-ci, un quadragénaire un peu raide sonne chez Gautier : c’était le psychanalyste d’Hanja et il vient lui parler d’elle et lui remettre une cassette enregistrée lors de ses séances de psy, ainsi qu’une lettre qu’elle a laissée à l’intention du jeune homme.
Gautier va ainsi découvrir la personnalité complexe et tourmentée d’Hanja Sauber qui a côtoyé le nazisme et ne pourra confesser le dégoût qui la ronge qu’au seuil de la mort. Hanja parle à Trauerspiel d’un certain Heinrich qu’elle a connu à Berlin en 1942 : ils ont vécu une « petite histoire » d’amour avant de se séparer parce que « nous n’étions pas compatibles ». Mais qu’est-ce que ne pas être compatibles dans l’Allemagne nazie ?
Comment une jeune fille a priori saine d'esprit a traversé la période nazie à Berlin sans voir où était le mal, tel est le sujet de La voix impitoyable de Lilian Auzas. Hanja a vécu un drame qui va la torturer toute sa vie et la mener jusqu'au cabinet du docteur Trauerspiel, au nom prédestiné, Trauerspiel signifiant la tragédie en allemand, littéralement chagrin (Trauer) et pièce (Spiel).
« Je vis avec un profond dégoût de moi-même » et « je ne suis pas quelqu’un de bien », telles sont les deux premières phrases qu’Hanja a déclarées au docteur Trauerspiel.
Mais les choses ne sont jamais aussi simples et, au fil du récit, le lecteur va découvrir une femme exceptionnelle et le drame qu’elle a vécu, qu’on ne peut raconter sans dévoiler toute l’histoire et notamment sa fin, poignante et inattendue.
Telle une héroïne dans un film de Fassbinder (la chanteuse Willie dans Lili Marleen notamment), Hanja est le symbole de l’Allemagne déchirée entre sa culture et la saloperie du totalitarisme. C’est une Allemande abîmée par le perpétuel remords de n’avoir pas décelé le mal chez tous ces beaux jeunes blondinets et autres crétins à moustache qui leur promettaient un Reich de mille ans.
« Il ne se passe pas une seconde sans que des regrets me rongent. Je dois pourtant avouer que ce sont là les meilleures années de ma vie ».
Un roman superbe, court et dense, à lire impérativement pour comprendre la banalité du mal.
Fabrice del Dingo
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