La ville haute, Éliane Serdan
La ville haute, avril 2016, 153 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): Eliane Serdan Edition: Serge Safran éditeur
Anna, une fillette arrivée du Liban, éprouve ses premiers mois d’exil en 1956 dans une ville du sud de la France. Elle est en proie au doute, à la douleur de ce pays perdu, tant et si bien qu’elle ne sait que nommer les quartiers inconnus « La ville haute », ces quartiers qu’elle découvre au sommet de la tour de l’horloge, qui domine la ville. Elle ne croit pas aux dires de son père, qui se proclame heureux d’être là, tandis qu’elle-même se languit de « là-bas », ce lieu d’où elle est partie. Elle pense aussi à son cousin, Fabio, resté là-bas, qu’elle affectionne beaucoup. Pourtant, tout bascule lorsque Anna se hasarde à se promener dans des quartiers inconnus et tombe sous le charme d’une place aux ormeaux. Elle entre dans la maison d’un homme par audace ou inconscience ? – cela n’est pas explicité. Cette confrontation impromptue l’entraîne vers des sensations et impressions inédites pour elle : une familiarité éprouvée pour ce lieu, la présence de chaleur et de bien-être : un bonheur insoupçonné. Elle décèle dans le regard de cet homme une peur panique. D’où vient-elle ?
Anna relie cette sensation à une technique musicale : celle de l’accord plaqué sur un clavier de piano. Cet homme, de son côté, n’est pas moins ébranlé : il se nomme Pierre Hervant, vient d’être victime d’un accident du travail dans son entreprise. Il est relieur, familier des livres. Au réveil, après son accident, il croit avoir entendu quelqu’un l’appeler « Yervant ».
On apprend alors, par une alternance des chapitres consacrés à Anna et à Pierre, que ce dernier est lui aussi un enfant de l’exil, notion omniprésente dans le roman d’Éliane Serdan. Au cours d’une recherche que Pierre effectue dans les affaires de son père, il découvre des affaires, des correspondances. Il y aperçoit un châle ayant appartenu à sa nourrice arménienne, Anouche, à laquelle Anna lui fait irrésistiblement penser. À la lecture de ces correspondances, Pierre éprouve un grand choc, il y lit « que la veille, vers midi, des barques chargées d’enfants et de vieillards étaient parties pour une destination inconnue et qu’elles étaient rentrées vides peu de temps après ». Le vieillard, dont les propos sont rapportés dans les correspondances du père de Pierre, ajoute que « des charrettes avaient quitté la ville vers les montagnes. Il n’en savait pas plus ».
Le dénouement est révélé par le déchiffrage d’une carte postale, placée par le père de Pierre au bas d’une page ; cette carte représente une ville cernée par le désert. Grâce à quelques rudiments de la langue arabe appris par Pierre, ce dernier déchiffre le nom de la ville sur la carte : Alep, lieu d’extermination des Arméniens durant le génocide de 1915.
Le roman d’Éliane Serdan atteint un double objectif : celui de la restitution des circonstances de l’exil pour deux personnages, Anna et Pierre ; celui de l’évocation du génocide arménien de 1915, par des touches et images successives, qui passent du flou à l’éclaircissement, pour nous faire toucher du doigt l’horreur de cet événement.
Un beau livre, à recommander, sobre, au style épuré et efficace.
Stéphane Bret
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