La vie prodigieuse de Garnet Ferrari, Marie Manilla
La vie prodigieuse de Garnet Ferrari, Traduit de l’américain par Sabine Porte mars 2015, 585 pages, 24 €
Ecrivain(s): Marie Manilla Edition: Autrement
Ce premier roman traduit en français de Marie Manilla est une histoire enchanteresse et pleine de poésie qui sublime la différence. Garnet Ferrari, dotée d’une chevelure rousse peu commune et de taches de vin qui recouvrent tout son corps façon mappemonde, n’est pas du tout le joli bébé joufflu tant attendu. Alors que ses parents s’astreignent à faire le deuil de leur fille idéalisée, sa grand mère Nonna y décide d’y voir la réincarnation de Sainte Garnet, une guérisseuse légendaire sicilienne. Ces taches de vin ne peuvent pas être le fruit du hasard. Nonna est terriblement superstitieuse : le moindre grain de sable et elle y voit le signe d’un mauvais sort. Elle ne peut imaginer la vie sans amulettes. Sa petite-fille a le pouvoir d’accomplir des miracles, notamment soigner toutes les maladies de peau (eczéma, poireaux, verrues, rien ne lui résiste…) et elle le fait savoir. Son vilain petit canard a le pouvoir de réenchanter le monde ! Entre les superstitions siciliennes à l’accent chantant, l’envie de sauver les apparences à l’américaine et l’humour « volcanocynique », ce livre nous amuse.
Croire ou ne pas croire ? Telle est la question qui taraude toutes les pages de ce roman. Le Vatican quant à lui a envie d’y croire et y précipite l’archevêque Gormley pour mener l’enquête. Mais Garnet se montre très déroutante, « je ne crois pas à toutes ces foutaises », et se révèle être en revanche une fabuleuse conteuse. La magie se trouve dans les détails. Même la poésie retrouve ses pouvoirs, Nonna voyant dans les étranges poèmes écrits par la mère de Garnet, un pouvoir néfaste sur sa petite-fille. La preuve d’ailleurs que le grand-père de Garnet, poète également, s’est suicidé ! D’ailleurs, ne serait-ce pas les fameux globes terrestres de ce grand-père collectionneur qui ont déteint sur sa petite-fille pendant la grossesse ? Tout devient possible et délicieusement surréaliste dans ce roman loufoque.
On pourrait classer ce roman dans la mouvance « feel good », mais ce n’est pas tout à fait vrai. Car il y règne en mode mineur une nostalgie sicilienne qui roule les « r », secoué à certains moments par des envolées tragiques. Le récit est en effet ponctué par des drames comme la mort brutale du père et du frère de Garnet dans un accident de voiture, l’internement de sa mère, la brutalité de son grand-père macho et de son cousin (qui sodomise son frère). La vie dans la ville de Sweetwater en Virginie occidentale dans les années 50 est donc loin d’être un long fleuve tranquille. Surtout quand on est descendant des Mayflowers et d’une lignée sicilienne volcanique. Précisons également que dans ce roman, les hommes sont plutôt maltraités : ils sont soit machos et grossiers, soit beaux et faibles. L’auteur n’offre aucune alternative à ce manichéisme. D’ailleurs, ce livre ne chercherait-il pas inconsciemment à nous distiller le message que le pouvoir appartient aux femmes ?
Marie Manilla est une formidable conteuse qui réussit à nous faire voyager dans la superstition sicilienne, les milieux à la fois populaire et riche des Etats-Unis des années 50 et les vieilles rivalités entre communautés italiennes et irlandaises.
Le thème de la différence y est traité avec virtuosité. C’est une histoire tragi-comique pour montrer que derrière une différence disgracieuse, il peut y avoir un talent, un pouvoir insoupçonné. L’envie de croire sans dogmatisme.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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