La vie joue avec moi, David Grossman (par Anne Morin)
La vie joue avec moi, octobre 2020, trad. hébreu, Jean-Luc Allouche, 329 pages, 22 €
Ecrivain(s): David Grossman Edition: Seuil
Trois voix de femme(s) qui viennent se briser et se relancer autour d’un homme-rocher débonnaire, Raphaël (« Dieu guérit »), beau-fils, époux et père. Ce n’est pas à lui qu’elles se content, mais il est là pour filmer, l’accessoiriste, mais aussi en grande partie le révélateur, le signifiant. A-t-on le choix ? A-t-on le droit de choisir ? En a-t-on la réelle possibilité ?
Véra, qui revient en compagnie de sa fille, Nina, de sa petite-fille, Guili, et de son beau-fils, Raphaël, sur l’île pénitentiaire où elle a été captive pendant deux ans et demi, n’a aucun doute à ce sujet : il n’y a pas de place, pas la moindre, pour le regret, pas de place pour un soupçon de doute : il n’y avait rien d’autre à faire, à dire. Elle n’a pas le plus petit regret, d’ailleurs sait-elle ce que c’est ? de n’avoir pas tenté, essayé… de permettre à sa fille, alors âgée de six ans, de vivre avec elle, ailleurs. Il n’est pas impossible de faire le choix – ou de croire qu’on l’a – de trahir son mari mort ou sa fille vivante, ce choix n’est pas nié, tout simplement pour Véra, il n’existe pas, il n’est pas.
C’est l’histoire d’une déstabilisation, d’une ouverture peut-être, d’une déconstruction, mais qui à aucun moment n’atteint Véra. Cela passe par les autres personnages, qui ne la rejoignent jamais. Véra croise comme un navire de ligne, sans dériver jamais, oscillant juste un peu quand la vue, et par là-même la vision, revient. C’est ce paroxysme, la vie, « la vraie » n’est pas « ailleurs », elle est dans cette impossibilité à ne pas rester intacte, la vie est dans ce cristal qu’est Véra (« la foi »), avec toute sa dureté, sa densité, son caractère implacable.
Ce qu’elle raconte quand on lui enjoint de se dire, c’est ce récit initiatique sans en avoir l’air, porté à bout de bras, inqualifiable, qui laisse une trace, une marque, un abîme, un suspense, une focale… « Véra a répété, avec virulence et impatience, qu’il valait mieux redescendre. “Ici, le soleil, quand il se pointe, il brûle. Dans cinq minutes, ça va être le feu ici”. Sous la lumière montante, son visage devenait blafard et inanimé » (p.324).
Anne Morin
David Grossman, né à Jérusalem en 1954, est l’auteur acclamé d’essais engagés qui ont ébranlé l’opinion israélienne et internationale, ainsi que de douze romans abondamment primés, dont Une femme fuyant l’annonce (prix Médicis étranger 2011). Lauréat du prix de la Paix des libraires allemands, du prix Frère et sœur Scholl et du Man Booker International Prize, il est officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
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